Correspondance 1812-1876, 2/1843/CCXXII

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CCXXII

À M. HIPPOLYTE CHATIRON, À MONTGIVRAY


Paris, 21 février 1843.


Eh ! bien, mon cher vieux, si tout est prévu, examiné et conclu, tant mieux. Je désire et j’espère le bonheur de ta fille, et le tien, par conséquent. Je serai toute disposée à accueillir avec amitié mon neveu Simonnet, et, s’il est parfait pour sa femme, je l’aimerai de tout mon cœur.

Tu as dû recevoir la caisse : elle est partie depuis trois jours.

Je ne sais pas encore si Pierret ira à la noce. Maurice vient de lui écrire pour l’engager à faire la route avec lui ; car, enfin, Maurice, gagné par tes instances, et par la considération de trouver son père à Montgivray, a obtenu de son patron[1] une permission de huit jours. Il partira d’ici à vendredi prochain, et sera de retour le samedi, au plus tard, de l’autre semaine. Il te dira ses travaux, et je te demande ta parole d’honneur de ne pas le retenir plus longtemps et même de le faire partir au jour dit, s’il se laissait entraîner par le plaisir d’être avec vous. Il est en plein dans l’anatomie, science indispensable à acquérir vite ; car, emporté par sa facilité, s’il n’apprend le dessin bien vite et scrupuleusement, il se gâtera et fera de la drogue toute sa vie.

Cette étude à l’école pratique, au milieu de cinquante carabins dépeçant chacun une pauvre charogne humaine, lui répugne beaucoup. Cependant, il en a pris son parti, et même il est dans un bon train maintenant. Je crains beaucoup pour lui l’entraînement de distraction que cette noce va lui causer. Il doit concourir pour une place aux Beaux-Arts dans quinze jours ; et, s’il n’est pas en mesure, il ne sera pas admis. Je te l’envoie donc en te priant bien sérieusement de faire entendre raison à son père là-dessus. Maurice est dans les deux ou trois années qui vont décider de son avenir, à savoir s’il sera un artiste ou un amateur. Tu me diras qu’il peut vivre sans être un artiste. Mais quelle différence dans la vie d’un homme, de savoir faire en maître ce qu’on a appris, ou de rester écolier ! Il faut que, cette année, maître Maurice épouse dame Peinture pour tout de bon ; nous voilà occupés tous deux de l’établissement de nos enfants, chacun à sa manière. Aide-moi à chapitrer Maurice sur ce point.

Bonsoir, mon vieux ; mille compliments et mille caresses à la bonne petite Léontine. En me disant qu’elle reçoit la récompense de sa simplicité, tu en fais un bel éloge, et qu’elle mérite. Mille et mille tendresses à Émilie. Je t’embrasse. Tous nos amis te félicitent.

  1. Eugène Delacroix.