Correspondance 1812-1876, 3/1850/CCCXIX

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CCCXIX

À JOSEPH MAZZINI, À LONDRES


Nohant, novembre 1850.


Mon ami,

Je vous envoie la lettre que vous m’avez ordonnée pour miss Hays. Je suis bien paresseuse pour répondre à toutes ces formules qui s’adressent au nom plus qu’à l’âme, et j’y réponds si bêtement, que je ferais mieux de me taire. Mais vous l’avez voulu, et, comme je donnerais mon sang pour vous, je ne me fais pas un mérite de répandre un peu d’encre. Cela me fait penser que vous ne m’avez jamais demandé d’écrire à madame Ashurst, et que, celle-là, vous la nommez toujours votre amie. Elle doit donc être meilleure que toutes les autres, et, en ce cas, parlez-lui de moi et dites-lui pour moi tout ce que je ne sais pas écrire. Vous le lui direz mieux et elle le comprendra. Ce que vous estimez, ce que vous aimez, je l’aime et je l’estime aussi. Quant à l’honorable John Minter Morgan, je lui fais un grand salut ; mais, en parcourant son ouvrage, je suis tombée sur un éloge si naïf de M. Guizot et du king of the French, que je n’ai pu m’empêcher de rire.

C’est assez vous parler des autres. Permettez-moi de vous parler de vous et de vous dire tout bonnement ce que j’en pense, à présent que je vous ai vu. C’est que vous êtes aussi bon que vous êtes grand, et que je vous aime pour toujours. Mon cœur est brisé, mais les morceaux en sont encore bons, et, si je dois succomber physiquement à mes peines avant de vous retrouver, du moins j’emporterai dans ma nouvelle existence, après celle-ci, une force qui me sera venue de vous. Je suis fermement convaincue que rien de tout cela ne se perd, et qu’à l’heure de mon agonie, votre esprit visitera le mien, comme il l’avait déjà fait plusieurs fois avant que nous eussions échangé aucun rapport extérieur.

Tout ce que vous m’avez dit sur les vivants et sur les morts est bien vrai, et c’est ma foi que vous me résumiez. À présent que vous êtes parti, quoique nous ne nous soyons guère quittés pendant ces deux jours, je trouve que nous ne nous sommes pas assez parlé ! Moi surtout, je me rappelle tout ce que j’aurais voulu vous demander et vous dire. Mais j’ai été un peu paralysée par un sentiment de respect que vous m’inspirez avant tout. Croyez pourtant que ce respect n’exclut pas la tendresse, et que, excepté votre mère, personne n’aura désormais des élans plus fervents envers vous et pour vous.

J’espère que vous me donnerez de vos nouvelles de Paris, si vous en avez le temps. Je suis en dehors des conditions de l’activité, je ne puis rien pour vous, que vous aimer ; mais Dieu écoute ces prières-là, et elles ne sont pas sans fruit.

Adieu, mon frère ; quand vous souffrez, pensez à moi et appelez mon âme auprès de la vôtre. Elle ira.

Ma famille d’enfants et d’amis vous envoie ses vœux sincères.

GEORGE.