Correspondance 1812-1876, 4/1857/CDXVIII

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CDXVIII

À SA MAJESTÉ L’IMPÉRATRICE EUGÉNIE


Nohant, 9 décembre 1857.
Madame,

Votre Majesté accueillera toujours avec bonté, je le sais, tous le savent, l’idée de mettre le baume sur les blessures humaines et sociales. Une mesure de rigueur légale vient de frapper le journal la Presse, en décrétant sa suspension pour deux mois. Les financiers qui exploitent ces vastes entreprises ont peut-être le moyen d’en subir les accidents ; mais les gens de lettres, qui ne sont pas solidaires dans la rédaction, et surtout les mille ouvriers employés à la partie matérielle et que la suspension de leur travail quotidien jette en plein hiver sur le pavé, sont-ils coupables et doivent-ils être punis ?

Ils sont punis, cependant, pour un article où une grande partie des lecteurs n’avait vu que le conseil donné aux députés de prêter serment au gouvernement de l’empereur. Mais, quelle que soit la fatalité de l’éternel malentendu qui préside aux choses de ce monde, ce n’est pas un plaidoyer pour la presse politique que je viens mettre aux pieds de Votre Majesté.

Ce n’est pas une requête au nom de l’écrivain, cause du fait ; c’est encore moins une réclamation en tant que collaboration littéraire à ce journal ; je ne me permettrais jamais d’entretenir Votre Majesté d’intérêts aussi minimes que les miens.

Mais le châtiment tombe sur des travailleurs étrangers au fait incriminé, et peut-être très dévoués, pour la plupart, à la main qui les frappe. J’ose donc dire à Votre Majesté que, la loi ayant été appliquée et l’autorité satisfaite, là pourraient commencer le rôle de la douceur et le bienfait de la clémence.

En faisant grâce, Leurs Majestés n’annuleraient pas l’effet politique et légal produit par la décision du pouvoir exécutif. Elles en effaceraient généreusement les conséquences funestes pour ceux-là seuls qui les subissent réellement, les employés et les ouvriers du journal, tous innocents à coup sûr.

Que Votre Majesté daigne agréer encore, avec l’expression de ma vive reconnaissance pour sa touchante bonté, celle des sentiments respectueux avec lesquels j’ai l’honneur d’être, madame, de Votre Majesté, la très humble et très obéissante servante.

GEORGE SAND.