Correspondance 1812-1876, 4/1861/CDLXXII

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CDLXXII

À M. CHARLES DUVERNET, À NEVERS


Tamaris, 15 mars 1861.


Mon cher vieux,

Je t’adresse ma lettre à Nevers, bien que je pense que tu doives être au Coudray ; mais je me dis que, de Nevers, on te l’enverra exactement, tandis que, du Coudray à Nevers, ce ne serait peut-être pas la même chose.

J’ai reçu la tienne, de lettre, et je suis heureuse de voir que ton petit mioche te donne toutes les joies de la grand’paternité — je souligne ! Voici, hélas ! comment tout se compense et s’équilibre dans le bien et dans le mal pour chacun de nous. Mes yeux voient des mers d’azur, des montagnes superbes, des fleurs charmantes ; mais ils ne verront plus que le portrait de ma pauvre Nini, qui était la perle et la fleur par excellence de ma vieillesse. Je ne la sentirai plus sur mes genoux ni dans mes bras, je n’entendrai plus sa voix, je n’échangerai plus rien avec elle en cette vie. — Résignons-nous ; notre cause et notre but nous sont inconnus, mais ils sont l’œuvre et le vouloir de Dieu. Ils ne peuvent donc être mauvais, et tout, après la vie, doit être dédommagement, puisque, dès cette vie, tout conduit à la notion de l’équilibre et de la rémunération.

Maurice a été à Hyères pour la seconde fois, un peu poussé par un dégoût momentané du séjour de Tamaris, où le mistral souffle de temps en temps et plusieurs jours de suite avec une violence inouïe. J’étais assez souffrante et il disait que si le climat d’Hyères était moins brutal, il voulait m’y transporter. Mais il a trouvé que c’était la même chose, alternative de bourrasques et de séries de jours admirables.

Il a été voir M. Germain, dans son château, très pittoresque et très beau, de Saint-Pierre des Horts. Le châtelain l’a très bien reçu et lui a offert pour moi un beau logement à très bon marché, ce qui est fort aimable.

Mais je suis installée et c’est une assez grande affaire dans ce pays, où, même aux portes des villes, les ressources et les moyens de communication n’abondent pas. On va peu par terre, les chemins sont assez négligés et décrivent nécessairement des courbes immenses autour des golfes qui dentellent la côte. La mer est le seul vrai chemin, et, quand elle est mauvaise, ce qui arrive souvent ce mois-ci, on est un peu claquemuré. Nous avons surmonté tous ces petits ennuis du commencement, en nous mettant au courant des habitudes et des ressources de la localité et en nous attachant enfin un commissionnaire actif et intelligent, après en avoir essayé deux qui étaient de charmants garçons, mais peu dégourdis, moins dégourdis que des Berrichons, et craignant la pluie comme des chats. Ici, pour le caractère et le tempérament, il n’y a pas de milieu. Ils sont ou tout à fait chiffes, où tout à fait énergiques. Nicolas-Napoléon fait très bien notre service ; la cuisinière Rosine, une vraie guenon, chante et rit toujours. L’âne va à la provision sans regimber ; le chien nous prend pour ses maîtres, et les poules me suivent comme à Nohant.

On nous apporte d’excellents poissons de mer tout vivants ; nous savons maintenant qu’il n’en faut pas demander les jours de mistral ; nous nous sommes procuré beaucoup de tables ; car, bien que notre Coudray maritime soit suffisamment meublé quant au reste, les tables sont ici des meubles de luxe. On ne lit pas, on n’écrit pas, on vient à la campagne pour se promener et dormir. Nous sommes enfin bien casés, résignés aux tempêtes et très dédommagés par la possibilité de travailler et par la beauté des journées admirables qui succèdent aux ouragans. Le printemps se fait au milieu de ces tempêtes comme si de rien n’était. Les solides pins d’Alep au parasol majestueux et les lièges rugueux tendent le dos et ne rompent pas ; les plantes à feuilles persistantes s’en moquent également, et l’olivier n’en est ni plus ni moins pâle. Parmi ces insensibles, les vraies plantes printanières commencent à sourire. Les tamarix et les lentisques en boutons, les anémones lilas et pourpre jonchent la terre, et les orchys fleurissent à l’ombre.

J’ai trouvé dans un bois voisin l’épipactis céphalante, qui n’est pas de nos pays et qui, je crois, est assez rare partout.

C’est une orchidée blanc de neige, avec une tache dorée sur le labile ; très jolie plante, élégante. J’ai été voir à Saint-Mandrier, qui est un hospice de marine avec un beau jardin botanique, des palmiers et autres exotiques très grands, des bosquets de poivriers couverts de leurs jolies graines rouges, et des sterculies dont l’odeur, exprimée par le nom, n’est pas précisément celle de la rose.

Tout cela est en dehors de mon récit sur le docteur Germain. Pour en revenir à lui, Maurice, qui se flattait de voir ses riches collections d’histoire naturelle, a eu le désappointement d’apprendre qu’elles n’existaient que sur le prospectus ; mais le personnage lui a paru tout de même un savant sérieux et un homme de grande valeur. Je compte certainement, le mois prochain, l’aller voir, lui et son château moyen âge, dont Maurice m’a apporté de sa part plusieurs photographies. Cela s’arrange d’autant mieux que ledit docteur est en ce moment en route pour la Nièvre, où il passera huit ou dix jours. Il est possible qu’une autre année, connaissant ce bon gîte de Saint-Pierre, j’aille y frapper pour la saison.

J’ai beaucoup travaillé au lessivage de Valvèdre depuis que je suis ici. Je touche à la fin de ce gros travail.

Bonsoir, cher vieux ; voilà encore une longue causerie ; mais je finis brusquement faute de papier. Tendresses à vous tous et grandes amitiés d’ici.

G. SAND.