Correspondance 1812-1876, 4/1861/CDLXXIII

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CDLXXIII

À MADAME PAULINE VILLOT, À PARIS


Tamaris, 28 mars 1861.


Chère cousine,

Vous aurez reçu déjà une lettre de Lucien[1] qui a, par un heureux hasard, vu tout de suite à Toulon, où il se trouvait hier avec Maurice et Boucoiran (un de mes plus anciens et meilleurs amis), l’article du Moniteur concernant son père. Ils m’ont apporté cette bonne nouvelle ; le brave enfant était ravi et ç’a été fête à Tamaris. Il vous avait déjà écrit, ce matin ; il est parti pour Lestac.

Maurice l’a accompagné un bon bout de chemin en wagon et l’a quitté pour aller voir une ruine romaine perdue dans les sables du rivage. Il est revenu ce soir à onze heures par des chemins bien noirs. Mais Lucien est sur une des plus belles routes du monde et il nous a fait espérer qu’il reviendrait passer encore deux jours avec nous ; après quoi, il gagnera Nîmes avec notre Boucoiran, qui l’aime déjà de tout son cœur et qui lui montrera ex professo tout ce qui pourra l’intéresser dans ce pays.

Il va bien, votre cher enfant ; il a couru comme un Basque avec ces messieurs, bravant la tempête au bord de la mer, afin de voir déferler les grandes lames. Il a fait, bon gré mal gré, de la botanique et de l’entomologie. Il a appris une patience qui est aussi difficile qu’un problème de mathématiques. Il a mangé beaucoup de petits gâteaux et ne s’est point passionné pour les coquillages de nos rêves qui ne valent pas le diable. Il est toujours aussi charmant et aussi sympathique, et son arrivée a été une véritable joie pour nous tous.

Ma santé se remet. Le mistral a fait place à un temps plus doux ; encore quelques jours, et nous aurons, à ce qu’on nous assure, un temps délicieux. Je crois que Maurice compte accompagner Lucien et Boucoiran à Nîmes. Vous voyez qu’on n’est pas pressé de se quitter les uns les autres et qu’on se reconduit pour être plus longtemps ensemble.

Ce Boucoiran est l’ancien précepteur de Maurice ; c’est un cœur d’or et un homme du plus grand mérite, sachant énormément de choses ; Lucien est déjà avec lui comme avec un papa.

Combien nous sommes heureux de ce qui concerne le vrai papa ! nous nous en tourmentions, nous en parlions à toute heure ; mais je disais, moi : « Si le prince s’en charge, ça réussira, car je ne connais pas de meilleur ami. » J’espère que je le verrai lorsqu’il viendra, à Toulon où on travaille à son yacht. Si vous savez quelques jours d’avance l’époque de son départ, vous serez bien aimable de me l’écrire pour que je ne sois pas en tournée aux environs dans ce moment-là.

Bonsoir, chère cousine ; dormez sur les deux oreilles. Si votre cher enfant nous revient, nous le choierons comme de coutume.

Je vous embrasse de cœur.

G. SAND.

  1. Lucien Villot, fils de madame Villot.