Correspondance 1812-1876, 4/1861/CDLXXIX

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CDLXXIX

À M. CHARLES PONCY, À TOULON


Chambéry, 5 juin 1861.


Mon cher enfant,

Nous partons demain matin pour Lyon, Montluçon, Nohant. Nous nous portons tous bien. Nous sommes enchantés de la Savoie. Ce sont les âpres beautés de la Provence, avec la verdure normande et les jolies constructions suisses. Quand vous aurez huit jours à vous, il faut prendre Solange sous votre bras, trois chemises sous l’autre bras, très peu d’argent dans votre poche (par le chemin de fer, Chambéry est tout près de chez vous), et vous verrez ce que c’est que des arbres et pourquoi ceux de la Provence ne me satisfaisaient pas. On pourrait dire qu’ici il y en a trop. Mais ils sont si beaux ! D’ailleurs, le terrain est si mouvementé, que partout la vue est immense et belle toujours. Vous trouvez dans les formes géologiques beaucoup de rapport avec les approches de Montrieux, mais en grand et avec une végétation qui est une vraie prodigalité dé la nature.

Nous avons couru toute la journée et tous les jours par une chaleur étouffante, entremêlée d’orages et de pluies torrentielles. Mais pas un souffle de vent. Les arbres poussent droits comme des cierges. Maurice serait satisfait.

À présent, nous allons revoir nos grands horizons planes et notre végétation, mesquine auprès de celle de Chambéry mais nous retrouverons notre chez nous, et vous savez que c’est toujours bon.

Ce que nous regretterons, ce sont les bons amis de Mer-Vive ; mais nous vous attendrons avant ou après les vacances, ou l’hiver ou le printemps prochain.

J’aspire à être à Nohant, pour avoir des nouvelles de Maurice, bien certaine que, si vous en avez reçu après mon départ, vous me les aurez expédiées chez moi. Je vous donnerai encore des miennes quand j’aurais touché le port.

Embrassez pour moi tendrement la bonne Désirée et vos deux charmantes filles. Si vous rencontrez Matheron, Nicolas et Rosine, dites-leur que nous nous louons d’eux. Grâce à votre bon choix, nous avons eu la satisfaction de n’avoir affaire qu’à des gens excellents, depuis les patrons jusqu’aux serviteurs. C’est une grande chose.

La mer était bien belle, Tamaris bien charmant, et, vous autres, vous étiez des anges gardiens pour nous. Je ne reproche donc au Var que trop de vent, trop d’oliviers et trop de poussière. Mais ce n’est la faute de personne et cela ne m’empêchera pas de lui garder un tendre souvenir.

Adieu encore, cher enfant, et à vous de cœur plus que jamais.