Correspondance 1812-1876, 5/1864/DLXXIX

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DLXXIX

À M. ÉDOUARD DE POMPÉRY, À PARIS


Paris, 23 décembre 1864.


Cher monsieur,

Je n’ai encore pu lire votre livre. Je ne fais pas de mon temps ce qui me plaît ; mais j’ai lu l’article de la Revue de Paris et je ne serai pas parmi vos contradicteurs. Je pense comme vous sur le rôle que la logique et le cœur imposent à la femme. Celles qui prétendent qu’elles auraient le temps d’être députés et d’élever leurs enfants ne les ont pas élevés elles-mêmes ; sans cela, elles sauraient que c’est impossible. Beaucoup de femmes de mérite, excellentes mères, sont forcées, par le travail, de confier leurs petits à des étrangères ; mais c’est le vice d’un état social qui, à chaque instant, méconnaît et contrarie la nature.

La femme peut bien, à un moment donné, remplir d’inspiration un rôle social et politique, mais non une fonction qui la prive de sa mission naturelle : l’amour de la famille. On m’a dit souvent que j’étais arriérée dans mon idéal de progrès, et il est certain qu’en fait de progrès l’imagination peut tout admettre. Mais le cœur est-il destiné à changer ? Je ne le crois pas, et je vois la femme à jamais esclave de son propre cœur et de ses entrailles. J’ai écrit cela maintes fois et je le pense toujours.

Je vous fais compliment des remarquables progrès de votre talent, la forme est excellente et rend le sujet vivant et neuf, en dépit de tout ce qui a été dit et écrit sur l’éternelle question.

Bien à vous.

GEORGE SAND.