Correspondance 1812-1876, 5/1869/DCCXII

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DCCXII

À M. GUSTAVE FLAUBERT, À PARIS


Nohant, 14 décembre 1869.


Je ne vois pas paraître mon article et il en paraît d’autres qui sont mauvais et injustes. Les ennemis sont toujours mieux servis que les amis. Et puis, quand une grenouille commence à coasser, toutes les autres s’en mêlent. Un certain respect violé, c’est à qui sautera sur les épaules de la statue ; c’est toujours comme ça. Tu subis les inconvénients d’une manière qui n’est pas encore consacrée par la routine et c’est à qui se fera idiot pour ne pas comprendre.

L’impersonnalité absolue est discutable, et je ne l’accepte pas absolument ; mais j’admire que Saint-Victor, qui l’a tant prêchée et qui a abîmé mon théâtre parce qu’il n’était pas impersonnel, t’abandonne au lieu de te défendre. La critique ne sait plus où elle en est ; trop de théorie !

Ne t’embarrasse pas de tout cela et va devant toi. N’aie pas de système, obéis à ton inspiration.

Voilà le beau temps, chez nous du moins, et nous nous préparons à nos fêtes de Noël en famille, au coin du feu. J’ai dit à Plauchut de tâcher de t’enlever ; nous t’attendons. Si tu ne peux venir avec lui, viens du moins faire le réveillon et te soustraire au jour de l’an de Paris ; c’est si ennuyeux !

Lina me charge de te dire qu’on t’autorisera à ne pas quitter ta robe de chambre et tes pantoufles. Il n’y a pas de dames, pas d’étrangers. Enfin tu nous rendras bien heureux et il y a longtemps que tu promets.

Je t’embrasse et suis encore plus en colère que toi de ces attaques, mais non démontée, et, si je t’avais là, nous nous remonterions si bien, que tu repartirais de l’autre jambe tout de suite pour un nouveau roman.

Je t’embrasse.

Ton vieux troubadour,
G. SAND.