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Correspondance 1812-1876, 6/1872/DCCCLXIX

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Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 238-240).


DCCCLXIX

AU MÊME


Nohant, 11 octobre 1872.


J’ai refait entièrement le cinquième acte, mais Lina n’a pas pu finir la copie et voici l’heure du courrier ; ce sera pour demain. Je n’ai résisté qu’à une chose, j’ai fait reparaître Émile. Le retrancher du cinquième acte semble trop maladroit ; on a besoin, d’ailleurs, de voir ce brave garçon, qui a été si violent, si justicier au quatrième acte, redevenir généreux et bon à la fin. Je le fais revenir au commencement, à la place de Georges, pour raconter le duel, exprimer un certain respect, une certaine pitié pour Moréali ; après quoi, il va, de la part de Lucie, raconter au grand-père ce qui s’est passé et on ne le revoit plus.

Je ne peux pas vous dire que cela me satisfasse entièrement. Il y a une logique qui passe pour moi avant l’effet de la scène et qui doit, si cela est bien exprimé, triompher de l’usage. Le public de l’Odéon m’écoute toujours jusqu’au bout avec une grande patience et me tient compte des bons sentiments avant tout. C’est donc dans les bras du jeune philosophe que j’aurais voulu faire mourir le mystique, comme dans le roman, c’est en serrant les mains du philosophe père, que le prêtre retrouve la notion de la vérité et l’espérance. Ce qui est dit dans le roman en beaucoup de pages pouvait se résumer en un mot à la scène. Je regrette beaucoup ce mot, et qui sait si l’auditoire ne s’apercevra pas qu’il manque ? Consultez-vous avant de faire copier la fin. Il est si naturel que Lucie, prise de pitié pour Moréali, envoie Émile pour le reconduire à Aix, et qu’Émile se fasse un devoir de ne pas le laisser sans secours ! Je les trouve tous féroces de le laisser mourir seul, vous me l’avez fait faire sympathique ; on le plaindra, on lui donnera raison contre cette famille de philosophes et de chrétiens désabusés. Si j’ai le temps demain, je vous proposerai deux scènes dernières, vous réfléchirez et vous choisirez ; je parie qu’aux répétitions d’ailleurs, vous retomberez dans mon avis, comme, à la lecture approfondie, vous êtes retombé dans ma première notion du caractère de Moréali.

À vous de cœur, cher bon ami,

G. SAND.