Correspondance d’Eulalie/I/04

La bibliothèque libre.
A Londres, chez Jean Nourse. M.DCC.LXXXV (p. 146-214).
Quatrième trimestre 1782

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Mercredi 2 Octobre 1782.


J’étois hier ſuperbe. J’avois une robe d’automne toute neuve, garnie par la Bertin. Au ſortir de l’Opéra, Zelmire m’a apperçue, elle crevoit de dépit, ainſi que Felmé, qui étoit avec elle. Cela a été bien pis quand les aboyeurs ont crié : la voiture de Mademoiſelle Julie. J’ai paſſé à côté d’elles en les regardant d’un air de protection. Je t’avoue que cela a été une ſatisfaction pour moi. J’ai été de là ſouper à la petite maiſon du Comte, où j’ai reçu toutes ſortes d’éloges ſur ma beauté et ma parure. Hélas ! puiſſe le bonheur dont je jouis durer autant que mon amitié pour toi. Porte-toi bien, et donne-moi ſouvent de tes nouvelles. Si tu as quelque commiſſion à me donner, je m’en chargerai avec plaiſir et les ferai avec la plus grande exactitude.

Lettre de Mademoiſelle Felmé.
Paris, ce 8 Octobre 1782.


A peine, mon cœur, ai-je la force de t’écrire. Je viens d’apprendre la fin tragique de cette pauvre Roſalie. On l’a trouvée dans le bois de Boulogne pendue à un arbre, les tetons coupés ; on ignore quel eſt le monſtre qui a commis cette barbarie. Je lui ſervirois volontiers de bourreau. Ah ! que les hommes ſont ſouvent cruels envers notre pauvre ſexe. Je finis, mon cœur, je friſonne d’horreur en penſant à cette hiſtoire. De la vie je ne veux aller au bois de Boulogne. Je croirois en tous momens voir l’infortunée Roſalie.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Lundi 7 Octobre 1782.


Comme je t’ai parlé de la maladie du Duc de Fronſac, je te dirai qu’il eſt maintenant hors d’affaire. Il circule ici depuis quelques jours une petite piece de vers à laquelle ſa maladie a donné lieu. Tu ſeras peut-être charmée d’en trouver ci-joint une copie, étant dans la ville où ſon pere a commandé. Il a emporté avec lui les regrets des filles ; il les protégeoit, et elles ont beaucoup perdu à ſon départ.


LE DUC RECONNOISSANT
ET
LES DEUX MÉDECINS.


Conte allégorique.

Un petit Duc, un petit Avorton,
Bouffi d’orgueil et du plus mauvais ton,
Fait au mépris et ſe riant du blâme,
Se préparoit, non pas à rendre l’ame,
(On ne rend pas ce qu’on n’a jamais eu)
Sans plus de phraſe il ſe croyoit perdu :
Privé d’eſpoir et pourri de débauche,
Ce Mannequin, cette fragile ébauche

Alloit partir bien couſu dans un ſac,
(Ce mot eſt mis pour rimer à Fronſac)
Lors deux rivaux du grand Dieu d’Epidaure
Dont le talent mérite qu’on l’honore,
Viennent ſoudain, quoiqu’appellés bien tard.
Les deux amis, joyeux de la victoire,
Modeſtement s’en renvoyent la gloire.
Dans le moment, du fond de ſes rideaux,
Le Duc, encore étendu ſur le dos,
Glapit ces mots, injure ſotte et vaine ;
Bravo, Docteurs, voilà de la Fontaine
Les deux Baudets, qui, ſe faiſant valoir,
Vont, tout-à-tour, uſer de l’encenſoir.
Bon ! dit Bartés, je goûte cette fable ;
Mais j’aime mieux l’hiſtoire véritable
De ce Dauphin, qui y voyant un vaiſſeau
Non loin du port diſparoître ſur l’eau,
Veut ſur ſon dos, à l’inſtant du naufrage,

Sauver lui ſeul preſque tout l’équipage,
A terre il porta ce qu’il put ;
Même un ſinge, en cette occurrence,
Profitant de ſa reſſemblance,
Lui penſa devoir ſon ſalut.
Mais le Dauphin tourna la tête :
Et le Magot conſidéré,
Il s’apperçoit qu’il n’a tiré
Du fond des eaux rien qu’une bête ;
Il l’y replonge et va trouver
Soudain quelque homme afin de le ſauver.

Les deux Docteurs, après cette aventure,
Livrent le Duc aux ſoins de la Nature,
Qui le ſauva par l’unique raiſon,
Qu’elle fait naître, en la même ſaiſon,
L’aigle, l’aſpic, les fleurs et le poiſon.

J’ai un charmant appartement de loué. On eſt occupé à le meubler. La chambre à coucher ſera en damas bleu et blanc, le ſalon en damas blanc et cramoiſi. J’aurai un boudoir en glaces. Une muſulmane blanche parſemée de roſes eſt l’étoffe dont ſeront les ameublemens. Mon lit aura une glace dans le fond et une au ciel ; il eſt fait à la Turque. Ma toilette, mon ſecrétaire, mes commodes et encoignures ſeront en bois de roſe avec des marbres blancs. Ma ſalle à manger eſt boiſée et peinte en petit gris. J’aurai un ſervice complet de porcelaine de la manufacture de Clignancourt. Quant à l’argenterie, j’en aurai peu, c’eſt Rigal qui la fournit. La tête me tourne, chere amie, de penſer comme je vais briller. Je ſuis ſans ceſſe après les ouvriers ; je les gronde de ce qu’ils ne vont pas plus vîte. Enfin voyant que je ne gagnois rien, j’ai changé de batterie, et je leur ai promis deux louis pour boire, ſi tout étoit prêt pour le quinze de ce mois. Il me tarde bien d’être à ce jour-là ! Adieu.

Lettre de Mademoiſelle Julie,
Ce Jeudi 10 Octobre 1782.


Que le tems coule lentement quand on attend avec impatience après quelque choſe ! Il ſemble que le ſoleil ralentiſſe ſa courſe. Qu’il eſt cruel d’attendre ! J’ai encore cinq jours à paſſer avant que je puiſſe habiter mon nouvel appartement, et encore ne ſuis-je pas ſûre qu’il ſera prêt pour le jour dit. Les ouvriers ſont ſi lambins ! il me ſemble qu’ils n’avancent point. Si cela ne finit, je deviendrai folle. Voila quatre jours que je n’ai fait que m’occuper de mon déménagement ; je n’ai plus de plaiſir ; ni ſpectacles, ni promenades.

Je finis, car ſi je continuois mes plaintes, je pourrois t’ennuyer. Le Comte, qui ne cherche qu’à me diſtraire, m’apporta hier les chanſons que tu trouveras ci-jointes. Puiſſent-elles ſervir à diſſiper l’ennui qu’a dû cauſer ma lettre.


CHANSON ſur les femmes du ſiecle.

Ne nous préférons point aux belles,
Bien loin de l’emporter ſur elles,
De tous côtés nous leur cédons ;
Et ſi nous avons en partage
Quelqu’agrément, quelqu’avantage,
C’eſt d’elles que nous le tenons, bis.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Nous leur devons la politeſſe,

Le bon goût, la délicateſſe,
Les façons et les ſentimens.
De deux beaux yeux le doux langage
En un jour inſtruit davantage
Que tous les livres de dix ans. bis.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Tous les reſſorts de notre adreſſe

Ne ſont rien près de leur fineſſe ;

On ne les prend jamais ſans vert :
Et la femme la moins habile
Se tire d’un pas difficile
Mieux que l’homme le plus expert, bis.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Une longue et pénible étude

Ne peut nous donner l’habitude
De leur agréable jargon.
Le ſexe en eſprit nous ſurpaſſe,
Et l’on compte ſur le parnaſſe
Neuf Muſes pour un Apollon, bis.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Moins vaines que nous, plus diſcretes,

Sur le fait de leurs amourettes
On ne les voit point éclater ;
Celles dont la raiſon s’oublie,
N’ajoutent point à leur folie
Le ſot plaiſir de s’en vanter, bis

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Un rien déconcerte nos ames.
Nous nous rebutons, mais les dames
Suivent juſqu’au bout leur deſſein ;
Nul obſtacle ne les arrête,
Et tout ce qu’elles ont dans la tête
Devient un arrêt du deſtin. bis

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Quoi qu’on diſe de leur faibleſſe,

Dans leur grand ſujet de triſteſſe.
Elles ſont plus fortes que nous ;
Et tandis qu’un rien nous déſole,
On en voit qu’un moineau conſole
De la perte d’un tendre époux, bis.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Air de l’amant jaloux.

Tandis que tout ſommeille.

Si d’un deſtin barbare
Tu braves les décrets.
Trompons, amans diſcrets,
La loi qui nous ſépare.

Souvent l’amour, dans ce ſéjour.
Unit deux cœurs fidèles.
Oui, l’amour ſera triomphant,
Il me conduit et te défend ;
Et s’il n’eſt encor qu’un enfant,
Cet enfant a des aîles.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Les peines de l’abſence

Ne ſont pas ſans plaiſir,
L’erreur de mes déſirs
Me rendra ta préſence ;
Puiſſe ton cœur, pour mon bonheur,
Partager mon délire ;
Mais qui peut t’aimer comme moi !
Toutes les nuits je te revoi :
Et mon ame pleine de toi
Tous les jours te déſire.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Quelquefois je m’éveille,

Flatté d’un tendre eſpoir,
A mes vœux, l’autre ſoir,
Tu parus moins cruelle :

Heureux momens ! pour un amant
Qui t’aime et qui t’adore.
Remplis d’une douce langueur,
Tes yeux avoient moins de rigueur ;
Ma main repoſa ſur ton cœur,
Et ma main brûle encore.

Lettre de Mademoiſelle Felmé.
Paris, ce 15 Octobre 1782.


Le monſtre, mon cœur, le barbare, le cruel, le tigre ; ah ! de quel nom affreux pourrai-je le nommer. Celui qui a fait périr Roſalie. C’eſt le jeune homme de province avec qui elle a vécu pendant quelque tems. Il y a trois jours qu’il s’eſt tué, et devant il avoit écrit cette lettre à Monſieur le Noir[1].

Paris, ce 10 Octobre 1784.

Ne cherchez plus, Monſieur, à découvrir l’auteur de l’aſſaſſinat de Roſalie ; c’eſt moi qui l’ait commis. En vain depuis ce tems j’ai cherché à goûter du repos ; mais cela m’a été impoſſible, malgré que je ſois ſûr que mon crime eſt ignoré, et qu’il n’eſt pas poſſible de pouvoir m’en convaincre. L’image de Roſalie eſt ſans ceſſe préſente à mes yeux. Le jour me déplaît, et la nuit m’eſt plus terrible encore. Mon ame eſt inceſſamment en proie à mes remords. Je ne puis plus ſupporter la vie. Auſſi, ai-je réſolu de me donner la mort. Mais avant j’ai voulu vous avouer mon forfait, afin qu’on ne puiſſe l’imputer à perſonne, ainſi que ma mort.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Mercredi 16 Octobre 1782.


Enfin d’hier je ſuis dans mon nouvel appartement. Le Comte, comme tu te l’imagines bien, a eu les prémices du lit. Il a fait des efforts incroyables de vigueur ; mais hélas ! les déſirs les plus ardens en fait d’amour ſont très-rarement, chez les hommes, accompagnés de la force ſuffiſante pour les ſatisfaire, tandis que notre ſexe eſt toujours en état de jouir. Je me rappelle à ce ſujet une ancienne chanſon faite pour prouver l’excellence du genre féminin. Je la chantai dernierement au Comte qui ne put s’empêcher de convenir que l’auteur avoit raiſon ſur tous les points. Tu ſeras peut-être charmée de la trouver ici.


CHANSON.
Air connu.


Par des raiſons, prouvons aux hommes
Combien au-deſſus d’eux nous ſommes,

Et quel eſt leur triſte deſtin ;
Nargue du genre maſculin.
Démontrons quel eſt leur caprice,
Leur trahiſon, leur injuſtice ;
Chantons et répétons ſans fin,
Honneur au ſexe féminin.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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L’homme ayant bu n’a plus de tête,

Moins raiſonnable qu’une bête,
Il ne peut trouver ſon chemin ;
Nargue du genre maſculin.
Mais la femme eſt bien plus aimable,
Plus riante et plus agréable,
Quand elle eſt en pointe de vin.
Honneur au ſexe féminin.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Qu’à Cythere on faſſe un voyage,

De retour du pélérinage,
L’homme eſt ſouvent triſte et chagrin ;
Nargue du genre maſculin.

La femme en revient, au contraire,
Plus éveillée et plus légere ;
Elle y retourneroit ſoudain.
Honneur au ſexe féminin.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
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Veut-on obtenir une grace ?

L’homme ſuit ſon juge à la trace,
Et c’eſt preſque toujours en vain ;
Nargue du genre maſculin.
Au lieu que la femme paroiſſe,
A lui donner chacun s’empreſſe ;
Prend-elle ? on baiſe encore ſa main.
Honneur au ſexe féminin.


Je reviens à mon appartement. Que mon lit eſt doux ! que les glaces qui y ſont font un bien bel effet ! et qu’il eſt agréable de voir ſes charmes répétés mille fois et en autant de poſtures différentes ! S’il eſt un moyen ſûr de doubler notre exiſtence en multipliant nos ſenſations, je crois que c’eſt celui là. Que je ſuis fâchée, ma chere Eulalie, que tu ne ſois pas ici ! Que tu me féliciterois ! et que j’aurois de plaiſir à te faire partager mon bonheur ! Nous ſerions toujours enſemble, et je n’irois jamais au ſpectacle ſans toi.

J’attends dans ce moment mon cher amant ; je veux lui donner l’étrenne du boudoir. Le voici qui entre : je quitte l’amitié pour voler dans les bras de l’amour. Adieu.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Mardi 22 Octobre 1782.


J’ai fait, ma chere amie, mes emplettes de robes d’hiver et de fourrures[2]. Voilà bientôt le tems où l’on ſera l’amour auprès du feu. J’aime aſſez l’hiver, on eſt plus raſſemblé dans cette ſaiſon, et le jour des bougies eſt le plus avantageux pour notre ſexe. J’ai maintenant un quart de loge à l’opéra ; il commence aujourd’hui : j’en ai auſſi un aux Italiens, mais il ne commencera que dans les premiers jours de Novembre.

Le Comte attire chez moi beaucoup de poëtes et d’autres qui ſe diſputent l’honneur de me lire leurs ouvrages. J’aurai dorénavant une fois ou deux la ſemaine un ſouper d’eſprit. Que ma toilette va être abondamment fournie des bagatelles du jour ! Bouquets à Iris, ſonnets, bouts-rimés, madrigaux, accroſtiches, impromptus, tout ſera de mon reſſort, je jugerai de tout. Je ne ſerois pas ſurpriſe même de voir un jour mon nom paſſer à l’immortalité à l’aide d’une pompeuſe dédicace. Je te ferai paſſer tout ce que je croirai pouvoir t’amuſer.

Je vais toujours mon train avec mon amant ſans que le Comte en ait le moindre ſoupçon ; il me croit très-fidelle. Je le comble de careſſes, car je l’aime de bonne foi ; mais je ne puis l’aimer ſeul, mon cœur a beſoin de beaucoup de nourriture. J’entends ici, chere amie, par cœur, celui du Chevaliers de Boufflers. Adieu. Que n’es-tu avec moi ! ma joie ſeroit complette.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Vendredi premier Novembre 1782.


On m’annonça un de ces matins qu’une femme, ſe diſant revendeuſe à la toilette, demandoit à me parler ; j’ordonnai qu’on la fit entrer.

Arrivée près de mon lit, cette femme me dit qu’elle ſeroit bien aiſe d’être ſeule avec moi ; je fis retirer Sophie, et elle débuta ainſi : Ce que je vois, Madame, me confirme aſſez qu’on peut être auſſi paſſionné pour vous que l’eſt la perſonne qui m’a priée de venir vous parler en ſa faveur. Un Prince Ruſſe, qui vous a vue pluſieurs fois au ſpectacle, meurt d’envie de vous avoir quelques inſtans à ſa diſpoſition. Il part dans peu pour retourner dans ſa patrie, et il dit que ſi vous ne le rendez heureux, il en mourra. Je ſuis chargée de vous demander à quel prix vous mettez vos faveurs, et de vous offrir, ſi vous ne voulez pas que l’entrevue ſe faſſe chez vous, de venir chez moi. Je demeure à un ſecond étage, je vends des modes, ainſi cela ne paroîtra pas ſuſpect. Le Prince s’y rendra, et vous paſſerez enſemble dans une chambre qui eſt ſur le derriere. Je lui répondis que je ne pouvois accepter cette offre, attendu que j’avois pour entreteneur un homme très-honnête, et que je voulois lui être fidelle. Bon, me répliqua-t-elle, Madame, vous devez ſaiſir une auſſi belle occaſion que celle qui ſe préſente ; elles ne ſe rencontrent pas ſouvent ; l’âge des amours paſſe rapidement, et il faut en profiter pour amaſſer de quoi s’en conſoler dans l’arriere ſaiſon. Croyez-moi, Madame, le Prince eſt généreux et veut fortement ce qu’il déſire, il en paſſera par où vous voudrez. Votre infidélité eſt un coup d’épée dans l’eau dont il ne reſtera pas la moindre trace. Perſuadée par ſes raiſons, je lui dis de dire au Prince que, s’il vouloit me donner cinq cens louis, je me prêterois à ſes déſirs. La même femme revint trois heures après me dire que le Prince avoit accepté ma propoſition et lui avoit même remis deux cens louis pour me donner comme arrhes du marché. Je les pris et convins que je me rendrois chez elle le lendemain à neuf heures du matin. Je n’y manquai pas, le Prince m’attendoit et me reçut avec toutes les careſſes d’un amant paſſionné. Comme il étoit preſſé de jouir, nous paſſâmes auſſitôt dans la chambre qui nous étoit deſtinée, où m’ayant fait aſſeoir ſur un ſopha qui s’y trouvoit, le Prince s’amuſa quelque tems à faire la revue de mes charmes ; puis ſe découvrant tout à coup, il étala à mes yeux un membre viril dont l’aſpect me fit trembler. Non, de ma vie, je n’ai vu un homme auſſi fortement conſtitué. Il ſembloit que tout ce que j’avois vu juſqu’à ce moment n’étoit que l’ombre de ce que je voyois alors. Ma main ne pouvoit le contenir, et je déſeſpérois même qu’il pût en faire uſage avec moi, lorſque riant de mon étonnement, le porteur de ce monſtrueux outil m’étendit ſur le ſopha et ſe mit en devoir de le placer. Ce ne fut pas ſans beaucoup de peines qu’il parvint au centre de la volupté ; mais après quelques ſecouſſes, plongée dans un torrent de délices, j’oubliai bientôt mes premieres douleurs. Le Prince, de ſon côté, ne ſe poſſédoit plus, ſon ame toute entiere ſembloit s’exhaler pas ſes ſoupirs. Quatre fois ſans quitter priſe il m’avoit inondée, lorſque je le priai de vouloir bien me donner un peu de relâche. Il y conſentit, nous prîmes quelques rafraîchiſſemens, et un quart d’heure après nous recommençâmes. Je retrouvai le Prince auſſi animé, et auſſi vigoureux que la premiere fois. Quel homme ! je n’en ai jamais vu un pareil, pas même l’Abbé dont je t’ai parlé il y a quelque tems[3]. Enfin, après trois aſſauts pareils au premier, entre leſquels nous prenions quelques reſtaurans, je fus contrainte de prier le Prince de ceſſer ſes vigoureux exploits, l’aſſurant que je n’y pouvois plus tenir, et en effet j’étois rendue. Il me remercia de la meilleure grace poſſible, m’embraſſa mille fois, et me donna les trois cens louis dont nous étions convenus. Depuis ce tems je n’en ai plus entendu parler. Juge, ma chere amie, quelle aubaine ! Tu vois que la fortune et les plaiſirs ſe réuniſſent pour me rendre la plus heureuſe des femmes.

En rentrant chez moi, j’ai trouvé tout tranquille, mes gens ne ſe ſont apperçu de rien. Comme j’avois beſoin de repos, je feignis un grand mal de tête et me mis au lit. Pendant mon abſence, un de nos beaux eſprits m’a apporté le conte et la chanſon que je t’envoye. Je déſire que cela t’amuſe. Adieu.


CONTE.

Une ſuperbe Chanoineſſe
Portoit dans ſes ſourcils altiers,
L’orgueil de trente-deux quartiers.
Un jour au ſortir de la Meſſe,
En préſence de l’Éternel,
En face de tout Iſraël,
Tandis qu’elle fendoit la preſſe,
Et s’avançoit le nez au vent,
Un faux pas fit choir la déeſſe,
Jambes en l’air et front devant.
Cette chute fut ſi traitreſſe,
Qu’en dépit de tous ſes ayeux,
Qui voulut, vit, de ſes deux yeux,
Le premier point de la nobleſſe.
Car, on ne peut nier cela,
Toute nobleſſe vient de là.
Ce point en valoit bien la peine.
L’ivoire, le rubis, l’ébene,

N’ont rien de plus éblouiſſant ;
Elle avoit raiſon d’être vaine.
Le beau Chevalier qui la mene,
Noble et timide adoleſcent,
La relevoit en rougiſſant,
Et raſſuroit d’un air décent,
Mais plein de feu, mais plein de grace,
La pudeur priſe au dépourvu.
Ah ! Monſieur, dit-elle à voix baſſe,
Monſieur, ces Bourgeois l’ont-ils vu ?

CHANSON.

Beautés qui fuyez la licence,
Evitez tous nos jeunes gens ;
L’amour a déſerté la France
A l’aſpect de ces grands enfans ;
Ils ont par leur ton, leur langage,
Effarouché la volupté,
Et gardent pour tout appanage
L’ignorance et la nullité.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur

Malgré leur tournure fragile,
A courir ils paſſent leur tems ;
Ils ſont importuns à la ville,
A la cour ils ſont importans ;
Dans le monde, en rois ils décident,
Au ſpectacle, ils ont l’air méchant ;
Partout la ſottiſe les guide,
Partout le mépris les attend.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Pour eux les ſoins ſont des vétilles

Et l’eſprit n’eſt qu’un lourd bon ſens ;
Ils ſont gauches auprès des filles,
Auprès des femmes indécens,
Leur jargon ne pouvant s’entendre ;
Et ſi leur ſerment peut tenter,
Ceux que le beſoin a fait prendre,
Bientôt l’ennui les fait quitter.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Sur leur air et ſur leur figure,

Preſque tous fondent leur eſpoir ;
Ils employent dans leur parure
Tout le goût qu’ils croyent avoir.

Dans le cercle de quelques belles
Ils vont s’étaler en vainqueurs ;
Mais ils ont toujours auprès d’elles
Plus d’aiſances que de faveurs.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
De toutes leurs bonnes fortunes

Ils ne ſe prévalent jamais ;
Leurs maîtreſſes ſont ſi communes,
Que la honte les rend diſcrets :
Ils préferent dans leur ivreſſe
La débauche aux plus doux plaiſirs,
Ils goûtent ſans délicateſſe
Des jouiſſances ſans déſirs.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Puiſſent la volupté, les graces,

Les expulſer tous de leur cour,
Et favoriſer à leurs places,
La gaieté, l’eſprit et l’amour.
Les déſerteurs de la tendreſſe
Doivent-ils goûter ſes douceurs ?
Quand ils dégradent la jeuneſſe,
Boivent-ils en cueillir les fleurs ?

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Lettre de Mademoiſelle Victorine.
Paris, ce 5 Novembre 1782.


Ma petite Cécile, ma bonne amie, a ſon brévet d’opéra. Il lui en a couté d’accorder ſes faveurs à V*** ; dans ce pays-ci on n’a rien pour rien. Comme elle ne ſavoit ou donner de la tête en quittant ſes parents, je l’ai menée chez la Comteſſe qui s’en eſt chargée. Elles m’ont beaucoup remerciée l’une et l’autre. Le lendemain la Comteſſe m’a envoyé une belle robe de ſatin couleur œil du roi, avec un ſuperbe bonnet. C’eſt là une femme qui ſait vivre.

Tu ſeras peut-être étonnée de la couleur œil du roi : mais apprends que c’eſt la regnante. Nous avons eu anciennement celle des cheveux de la reine. Avec le tems nous parviendrons à connoître la couleur de toutes les parties royales.

Depuis quelques jours, j’ai par paſſade un officier qui s’en va en ſémeſtre. Il eſt très-vigoureux, il n’y a gueres de nuits qu’il ne me réveille et il me donne régulierement le bon jour et le bon ſoir. Il a une voix charmante. S’il paſſoit l’hiver ici, j’en ferois mon amant : mais il part le vingt du mois. Je le regretterai bien pendant deux jours ; ainſi juges ſi je lui ſuis attachée, car tu ſais bien que je ſuis inſenſible, et c’eſt néceſſaire dans notre métier. Aujourd’hui à l’un, demain à un autre. Notre vie eſt un changement perpétuel de connoiſſances et de conduite. Avec l’un folâtre, avec l’autre ſenſible et avec un troiſieme flegmatique ; il faut être un peu comédiene et changer de rôle à tout moment.

Mon vieux fait toujours bouillir la marmite, ſa femme dans ce moment eſt à toute extrémité. Il ne la quitte pas d’un inſtant. Il y a huit jours qu’il n’eſt venu me voir ; mais il envoye regulierement ſavoir de mes nouvelles.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Mercredi 6 Novembre 1782.


J’ai été lundi dernier aux Italiens, mon quart de loge commençant ce jour là. Je ſuis très-contente de Madame Dugazon. Qu’elle a de graces ! il eſt fâcheux qu’elle ne ſoit pas porteuſe d’une plus jolie figure. Je voudrois bien que Colombe et Adeline ne ſe peignent pas les levres avec du corail et ne ſe miſſent pas tant de blanc, cela les gâte au lieu de les embellir. La petite Débroſſe eſt gentille, elle a une petite figure de fantaiſie charmante ; c’eſt bien dommage qu’elle préfere, dit-on, les femmes aux hommes, mais c’eſt malheureuſement un goût qui regne à ce ſpectacle. Mesdames Julien, Verteuil, Leroi et Adeline, ſont accuſées d’avoir ce vice. Mais à propos de Débroſſe, quelqu’un m’a aſſuré qu’elle avoit le clitoris gros comme le petit doigt, et qu’il a des momens d’érection. Je ſerois curieuſe de le voir ; cela doit la gêner quand elle voit un homme. Que les danſeuſes y ſont laides ! ſi ce n’eſt la petite Riviere ; elle a une petite figure chiffonnée qui plaît. Voici deux couplets que ſon amant a faits pour elle.


A Mademoiſelle Riviere.
Air des amours d’été : Mon honneur dit etc.

Mon tendre cœur, ma charmante Riviere,
Pour toi me fit trahir tous mes ſermens ;
J’avois juré qu’en aucune maniere
Je ne ſerois au nombre des amans ;

Mais j’apperçus ta figure enfantine,
Et de nouveau l’amour fut mon vainqueur ;
Mais maintenant jamais aucune mine
Ne pourra rien ſur mon fidele cœur.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Ton cher amant, ma charmante Riviere,

En ce moment, ne forme qu’un déſir :
C’eſt que bientôt, devenant tendre mere,
Nous puiſſions voir notre amour s’affermir ;
Mais de ton ſexe aimable et très-volage
Jamais n’imite la légereté :
Joins la ſageſſe aux attraits du bel âge,
Et tu ſeras ma chere déité.


Pour la premiere danſeuſe, c’eſt un ſquélette qui n’a que la peau ſur les os. Le Prince Marſan a cru avoir ſes prémices, il l’a entretenue quelque tems ; mais il n’a eu que les reſtes de Pariſeau, ſon ancien, directeur aux éleves de l’opéra. Elle lui devoit bien cela ; c’eſt lui qui l’a formée et faite ce qu’elle eſt. Elle a du talent pour la danſe ; ſa taille et ſon pied demandoient une autre figure. Tu ſeras ſurpriſe, ſans doute, de me voir ſi bien au fait de ce ſpectacle, pour ſi peu de tems que je le fréquente ; mais ton étonnement ceſſera, ſi tu veux te reſſouvenir que j’ai ſouvent chez moi la fleur des beaux eſprits, et que perſonne n’eſt mieux inſtruit que ces meilleurs de toutes les anecdotes des ſpectacles, de la cour et de la ville. Adieu, chere amie, porte-toi toujours bien, et donne-moi de tes nouvelles.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Jeudi 14 Novembre 1782.


Si cela continue, ma chere amie, je ſerai à mon aiſe dans peu. La Comteſſe m’a fait avertir qu’il y avoit cinquante louis à gagner ſi je voulois paſſer chez elle un quart d’heure. Comme j’ai des obligations à cette femme qui m’a rendu pluſieurs ſervices importans, et que c’eſt une reſſource à ménager, j’ai accepté. Je ſuis entrée chez elle par la porte de derriere et ſuis ſortie de même. C’étoit un évêque qui avoit un caprice pour moi. Sa grandeur s’étant dépouillée de tous ſes vêtemens, me pria d’en faire de même. Ainſi nus, devant un bon feu, il me fallut remuer l’outil de ſa révérence, tandis que l’illuſtriſſime fourageoit, de ſes doigts ſacrés, le boſquet de Cypris. Animé par ce double jeu, les yeux pleins de luxure, et ſe ſentant dans une érection ſuffiſante, le voluptueux prélat me porta ſur le lit, où, par une douce et copieuſe libation, nous achevâmes le ſacrifice.

Je rentrai chez moi très-ſatisfaite. Le Comte y étoit venu ; mais Sophie qui entend le jare, lui a dit que je ne faiſois que de ſortir pour aller voir une de mes amies qui étoit en mal d’enfant et qu’elle ne ſavoit pas au juſte quand je ſerois de retour. Le Chevalier de Langeac que tu as connu autrefois vient de faire un charmant couplet ſur Nicolas, le voici :

Air : Et voilà, comme, et voilà juſtement.

Vous ſavez bien, mes chers amis,
Qu’il faut des coqs pour cocher nos poulettes.
Vous ſavez bien qu’il faut des nids
Pour y dépoſer les petits.
Vous ſavez bien que les fillettes

Tendent des lacs où nous ſommes tous pris ;
Or de ces nids, de ces coqs, de ces lacs,
L’Amour en a fait Nicolas.


Pluſieurs de nos anciennes connoiſſances que la miſere faiſoit raccrocher dans les rues, après avoir été ſi élégantes, ont été arrêtées ces jours paſſés et miſes à Saint-Martin[4], et pourroient bien aller de là à l’hôpital[5] pour quelques mois, ſi perſonne ne les réclame ; mais comme je connois un des premiers commis de la police, je ferai mon poſſible pour faire ſortir Flore et Violette. Il faut tâcher d’obliger, on ne ſait pas ce qui peut nous arriver. Je t’aime toujours.

Lettre de Mademoiſelle Roſimont.
Paris, ce 18 Novembre 1782.


Apprends, ma chere amie, qu’il y a deux jours que le pere Anſelme, Carme, eſt venu chez moi. Jamais je n’ai été ſi bien chevauchée ; je t’avoue que l’idée de me prêter à un moine me répugnoit ; mais la maniere dont il débuta vis-à-vis de moi me ſéduit. En entrant il mit cinq louis ſur ma cheminée, et me montrant un priape des plus gros, il me dit : “ foutre avec un inſtrument comme cela, on ne devroit pas payer ; mais il faut que le prêtre vive de l’autel „ et auſſitôt il me gîta ſur mon lit et ſans quitter priſe, il m’inonda cinq fois ; tu crois peut-être que c’eſt là tout, eh bien, tu te trompes, m’ayant un peu patinée, il recommença et le fit encore trois fois. Ma foi vivent les Carmes, s’ils ont tous la même vigueur (ce que m’a aſſuré pere Anſelme) leur renommée eſt bien juſte. J’ai été très-contente de lui, et lui de moi. Il doit revenir me voir et m’a même promis de me donner la pratique d’un de ſes amis. Adieu, je te ſouhaite de trouver quelques Carmes ou des gens qui leur reſſemblent.

Lettre de Mademoiſelle Julie,
Ce Jeudi 20 Nov. 1782.


C’étoit Lundi la fête du Comte, les Poëtes de ſa connoiſſance ſe ſont empreſſés de le complimenter en vers de leur façon. Il y a eu grand ſouper chez moi ; je lui ai donné pour bouquet mon portrait ſur un Souvenir. Il a été enchanté de ce cadeau, ſa joie étoit au comble, il étoit comme un fou. Comme je ſais qu’il aime la muſique, j’avois prié des muſiciens à ſouper, et il y a eu concert. Nous avons paſſé la ſoirée la plus agréable. Parmi les chanſons que l’on a chantées, j’en copie ici deux qui m’ont parues jolies.

ROMANCE.

Ne ſoyez qu’infidelles,
Sans crime on peut changer ;
Mais, ſans les outrager,
Aimez toutes les belles.
Si les amours portent toujours
Votre cœur ſur leurs aîles,
Imitez l’inconſtant Zéphir,
Sans bruit il pourſuit le plaiſir,
Et careſſe ſans les flétrir
Toujours roſes nouvelles.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Le bruit eſt pour la gloire,

Le ſecret pour l’amour ;
Heureux amans, toujours
Cachez votre victoire :
Dans vos ſuccès ſoyez diſcrets,
Aimez avec myſtere ;
Le ciel fit les myrtes épais
Pour cacher ſous leurs voiles frais
Et les plaiſirs et les ſecrets
D’une tendre bergere.

CHANSON.

Pourquoi cette guerre civile
Entre gens faits pour être amis ?
Soyez d’une humeur plus facile,
Mes jeunes et mes vieux amis ;
Nul intérêt ne vous diviſe,
La Nature a marqué vos lots ;
N’ayez qu’une ſeule deviſe,
N’apprêtez point à rire aux ſots. bis

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Que la jeuneſſe ait en partage,

A côté de mille agrémens,
Le défaut d’être un peu volage,
C’eſt un malheur de tous les tems :
Que de fâcheuſes découvertes
Aux vieillards donnent de l’humeur,
Qu’ils ſoient affligés de leurs pertes,
C’eſt encore une vieille erreur, bis.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur

Chaque âge aura toujours ſon code,
Ses plaiſirs et ſa vanité ;
Mais que la raiſon raccommode
L’enfance et la caducité :
L’une ſe croit trop raiſonnable,
L’autre trop ſûre de charmer ;
Faites mieux, ſoyez plus aimable,
Et apprenez à mieux aimer. bis.
Avec les jeux dans le village

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur

Le Comte m’a promis ſon portrait pour payer le mien ; j’en ſerai flattée, car je l’aime beaucoup malgré mes infidélités. A propos d’infidélités, mon jeune amant a acheté les poſtures de l’Arétin avec les gravures. Nous nous amuſons chaque jour à en eſſayer quelques-unes dans mon boudoir aux glaces. Ah ! quels momens délicieux nous paſſons enſemble ! les heures nous paroiſſent des inſtans. Ô divine jouiſſance ! rien n’eſt comparable au bonheur que tu procures. La vie maintenant m’eſt chere, j’aurois bien de la peine à la quitter. Que les tems ſont chargés ! il ne manque à mon bonheur, pour le rendre parfait, que d’avoir avec moi ma chere Eulalie. Adieu.

Lettre de Mademoiſelle Felmé.
Paris, ce 25 Nov. 1782.


La miſère, mon cœur, eſt parmi les pauvres Demoiſelles. Quantité qui anciennement ne faiſoient que des parties et des paſſades ſont réduites à racrocher. Flore et Violette qui y étoient obligées ont été arrêtées, et ſans Julie qui a employé quelques protections qu’elle a dans les bureaux de la police, elles alloient à l’hôpital au moins pour trois mois. Quel tems ! ah ! que la guerre eſt cruelle pour nous. Puiſſe-t’elle bientôt finir ? On dit que ça ſera pour le commencement de l’année prochaine. Je le déſire bien pour mes Conſœurs et pour moi ; car je végete.

Jeudi dernier, Sainte Marie et moi, nous avons fait chez la Préſidente un ſouper avec deux Italiens, ils étoient très-aimables et n’avoient nullement le goût ultramontain, il falloit ſeulement pendant la jouiſſance les fouetter avec un martinet de parchemin rempli de Camions.

Je ſuis inquiéte de ce que tu ne m’as pas accuſé la réception du manchon et de la péliſſe que je t’ai envoyés par le courier, tu dois cependant avoir reçu cela la veille de la Touſſaint. Adieu, mon cœur.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Mercredi 27 Nov. 1782.


En liſant celle-ci, tu vas t’écrier : toujours des vers ! mais tu m’as mandé qu’ils te faiſoient plaiſir, j’ai ſans ceſſe des Poëtes chez moi, il faut bien ſe conformer au goût de nos amans.

VERS
Sur un petit Arbriſſeau.

Tendre lilas,
Mon cœur à jamais te préfere
Aux faveurs de nos Mécénas,
Au vert olivier de Pallas ;

Plus que le laurier même à mes yeux tu ſais plaire,

Sur tous les arbriſſeaux je te donne le pas.
Cadeau chéri de ma bergere,
Orne le réduit ſolitaire

Où nuit et jour je rêve à ſes appas ;
Que de nos cœurs, interprête ſincere.
L’amour ſur ton écorce imprime l’entrelas
Et du nom de Glycere
Et de celui d’Hilas.
Puiſſes-tu de la main d’une ſi tendre mere,
Tranſplanté dans cette isle, émule de Cythere,
Que la Marne couronne et ceint d’un double bras,
Témoin officieux de nos joyeux ébats.
Protéger le plus doux myſtere !
Là, couchés mollement ſur la jeune fougere,
D’un dais de fleurs tu nous couronneras ;
A tes pieds nous prendrons les plus ſimples repas.
Tu te croiras heureux de notre ſort proſpere ;

Mais nos plaiſirs tu les tairas.
Ne ſouffre point qu’un chaſſeur ſanguinaire
Sous toi d’un tendre oiſeau médite le trépas ;
L’amour et ma Glycere
Ont ſeuls droit d’y tendre des lacs.
Sous ton ombre que je révere
Nous viendrons tous les ans oublier les frimats
Et te rendre au printems viſite réguliere.
Mais quand l’ardent Phœbus et l’Aquilon ſévere,
De ton feuillage ſec viendront couvrir la terre,
En te quittant, je me dirai tout bas :
Tel eſt le ſort de la fleur paſſagere.
Comme la fleur des champs, que le cœur de Glycere,
Amour, ne change pas.


Je finis, le Comte vient, adieu. Je te ſouhaite de la joie et de la ſanté.

Lettre de Mademoiſelle Violette.
Paris, ce 27 Nov. 1782.


Il m’eſt arrivé, ma chere Eulalie, une aventure bien déſagréable. J’ai été arrêtée et ſans la bonne Julie, qui s’eſt intéreſſée à moi, j’allois faire un ſéminaire à l’hôpital : comme cette aventure eſt ſue, ça va me faire du tort, et je ſuis dans le deſſein de quitter Paris. J’ai envie d’aller à Bordeaux, mandez-moi ſi vous me le conſeillez. Si vous me détournez de ce projet j’irai à Lyon ou à Marſeille. M’étant impoſſible de reſter ici où il n’y a pas de l’eau à boire à cauſe de la guerre, et que les femmes de qualité ſe mêlent auſſi du métier ; il n’eſt rien de ſi commun que d’entendre dire maintenant, Madame la Marquiſe ou Madame la Comteſſe, et même Madame la Ducheſſe, une telle eſt entretenue par Monſieur un tel. Et Meſſieurs les financiers ont la rage de donner dans la condition, ils croyent par là s’illuſtrer. Pauvres ſots qu’ils ſont quand ils ſeront ruinés, la Marquiſe ou la fille entretenue les mettront de même à la porte. J’attends, ma chere Eulalie, votre réponſe avec beaucoup d’impatience, je vous prie de croire que perſonne ne vous eſt plus ſincerement attachée que moi.

Lettre de Mademoiselle Julie.
Ce Lundi 2 Décemb. 1782.


J’ai oublié de te mander que Reneſſon a fait à la meſſe des Petits-Peres[6] la connoiſſance d’un vieux qui n’eſt pas trop dégoûtant. Il lui donne dix louis par mois pour avoir ſes entrées chez elle, lui permettant de faire, pendant ſon abſence, tout ce qui lui plaira. Il ne peut plus rien qu’une fois en ſix mois, mais ſon grand plaiſir eſt la magniote et de ſe faire donner le fouet. Elle a conſenti à tout cela et l’a pris en attendant mieux.

Roſette a été plus heureuſe, elle a maintenant pour entreteneur un Notaire. C’eſt du ſolide, et encore facile à tromper, ayant des occupations auxquelles il ne peut ſe ſouſtraire, et pendant leſquelles on peut être tranquille.

Le Comte eſt allé paſſer deux jours à Verſailles. Pendant ce tems, mon amant l’a remplacé. Il ſembloit que je reſſentois plus de plaiſir avec lui, et que les glaces faiſoient mieux leur effet. On a bien raiſon de dire qu’une choſe défendue paroît toujours meilleure. Je finis vîte, mon coëffeur m’attend pour me couper les cheveux et me friſer ; c’eſt une opération très-longue, et qui m’ennuie d’avance. Adieu.

Lettre de Mademoiſelle Felmé.
Paris, ce 7 Décembre 1782.

Tu n’as ceſſé, mon cœur, de me vanter les jolis vers que t’envoyoit Julie, et de me mander combien cela t’amuſoit. Dans peu je t’en enverrai qui je crois ne t’ennuieront pas.

Je ne ſais ſi à Bordeaux c’eſt comme ici, maintenant toutes les modes ſont à la Malbouroug, il n’y a pas même juſqu’aux chanſons qui ſont ſur l’air de Malbouroug. L’origine de cela eſt que le Roi étant allé avec la Reine voir Monſeigneur le Dauphin, ils trouverent ſa nourrice qui chantoit pour l’endormir. Ils voulurent ſavoir quelle chanſon, et elle leur chanta Malbouroug s’en va-t-en guerre. Le Roi et la Reine en rirent beaucoup, et cela en fut aſſez pour qu’on fit tout à la Malbouroug.

Le beau D*** a eu la petite vérole, on dit qu’il en eſt tout défiguré, j’en ſuis charmée il étoit trop infatué de ſa figure ; il ne regardoit jamais une femme ſans qu’il n’ait l’air de dire, en vérité je vous fais trop d’honneur, avouez que vous ſeriez bien aiſe de me poſſéder. Les femmes devroient bien ſe liguer contre cette eſpèce d’hommes ; mais il me ſemble que plus un homme eſt fat et impertinent, plus les femmes le recherchent. Que nous avons grand tort ! quand ouvrirons-nous les yeux ? Adieu, mon cœur, je te ſuis attachée pour la vie.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Lundi 9 Déc. 1782.


La femme à mon Prince Ruſſe eſt revenue et m’a dit qu’un Italien d’un très-haut rang qu’elle ne pouvoit nommer, encore moins dire la qualité, demandoit la même grace que le Ruſſe, et accepteroit le marché au même prix, pourvu que je vouluſſe me prêter à la mode de ſon pays. Je me ſuis beaucoup récriée ; j’ai dit que c’étoit une propoſition horrible. La femme m’a répondu que chaque pays avoit ſes uſages ; elle m’a enſuite cité nombre de nos élégantes qui n’étoient pas ſi difficiles. Les cinq cents louis, plus que toutes ſes raiſons, me déterminerent ; j’étois curieuſe en outre de voir ce qu’une femme éprouvoit à ce jeu. J’ai donné rendez-vous et m’y ſuis rendue. Ce n’eſt qu’avec bien de la peine que notre Italien en eſt venu à ſon honneur, j’ai cru qu’il me déchireroit le derriere, je n’ai pu m’empêcher de crier. En vain, pendant qu’il opéroit, ſes mains cherchoient-elles à me procurer du plaiſir, je n’en ai pu prendre aucun, et ſuis ſortie en jurant bien que jamais je ne ſouffrirois qu’on jouît de moi à l’Italienne. Je ne te conſeille pas, chere amie, d’en eſſayer. Adieu ; brûle cette lettre, de crainte qu’elle ne s’égare.

Lettre de Mademoiselle Julie.
Ce Lundi 16 Décemb. 1782.


Depuis ma derniere aventure, je ne puis concevoir comment Thevenin, ſurnommée l’As de pique[7] ; aime beaucoup à être vue à l’Italienne, et prie ceux qui veulent la voir de le faire ainſi. Sans doute c’eſt de peur de faire des enfans.

Mon Comte eſt de retour de Verſailles, j’ai paſſé la nuit dans ſes bras. L’abſence avoit fait un très-bon effet ; il en étoit plus vigoureux et plus amoureux. Il m’a dit qu’à la Cour on parloit fortement de la paix, il ſait le déſir que j’ai qu’elle ſe faſſe.

Je viens de voir la liſte de la loterie de France, j’ai gagné neuf cents livres paſſé. Hélas ! quand j’étois dans l’embarras, je n’aurois pas eu ce bonheur-là. L’eau va toujours à la riviere. Je vais employer cet argent à m’acheter quelque pompon de diamant ; le Comte ne m’en a pas encore donné, ayant été obligé de dépenſer beaucoup pour me meubler et monter ma maiſon. Il m’en a promis pour l’année prochaine, mais c’eſt encore bien long.

J’irai demain faire tes emplettes de chiffons. Je prendrai ce qu’il y a de plus nouveau. Je tâcherai auſſi que dans le paquet il y ait les ſouliers

de Charpentier[8]. Adieu.
Lettre de Mademoiſelle Felmé.
Paris, ce 20 Déc. 1782.


Qu’avec plaiſir, mon cœur, je vois la fin de l’année. Jamais je n’en ai eu une ſi mauvaiſe, malgré toute mon économie, il m’a été impoſſible de rien mettre de côté. Je ſuis même bien heureuſe de n’avoir pas été obligée de prendre ſur mes épargnes, cela me recule beaucoup pour quitter le métier.

J’ai été hier me faire dire ma bonne aventure[9]. On m’a promis beaucoup de bonheur, et avant un an un entreteneur. J’ai la plus grande confiance dans cette Bohémienne. C’eſt la même qui a prédit à Reneſſon une partie des aventures heureuſes qu’elle a eues, elle en a fait autant à Roſiere.

Tu ſauras que maintenant la Duthé eſt mariée à un riche négociant de Londres. On dit qu’elle eſt devenue très-vertueuſe et ne s’occupe que des affaires de ſon ménage. Cette fille a bien fait ſon chemin quoique ſans eſprit. Il n’y a, mon cœur, dans notre métier qu’heur et malheur, comme dans le militaire.

J’eſpere que cette année je pourrai aller courir les meſſes de minuit. Je ne ſuis pas comme l’année paſſée retenue dans ma chambre par un gros rhume.

Au cas que je ne t’écrive plus de l’année, ſois perſuadée, mon cœur, que perſonne ne forme des vœux plus ſinceres pour ton bonheur que ta chere et tendre amie pour la vie.

Lettre de Mademoiselle Julie.
Ce Samedi 19 Décembre 1782.


Tes commiſſions ſont faites ; je me flatte que tu ſeras contente : elles doivent partir par la premiere diligence. J’ai ajouté une petite robe d’un petit ſatin à la mode ; ſurement tu ſeras une des premieres à le porter à Bordeaux.

Voici des vers que mes beaux eſprits m’ont donnés pour du nouveau. Puiſſent-ils t’amuſer. Il ne paroît jamais de nouveautés, qu’on ne me les liſe. Souvent je ne les écoute pas, et ſuis occupée à autre choſe.


Très-humbles Remontrances du Fidele
Berger, Confiſeur rue des Lombards,
à M. le Vicomte de Ségur.

O vous, dont la muſe légere,
L’enjouement, les graces, le ton,
Cueillent les roſes de Cythere
Et les lauriers de l’Hélicon ;
Qui de nos amans infideles
Préſentez à toutes nos belles,
Et les charmes et le danger,
Aviez-vous beſoin de voler,
Ségur, pour vous faire aimer d’elles,
Les fonds du Fidele Berger ?
Que deviendront mes friandiſes,

Mes petits cœurs et mes bombons ?
Qui briſera mes macarons
Pour y trouver quelques deviſes ?
Aſſuré pour le nouvel an
De Meſſieurs de l’Academie,
J’avois épuiſé leur génie,
Et j’en étois aſſez content ;
Mais près de vous quel auteur brille ?
Vous poſſédez aſſurément
Plus d’eſprit et plus de talent
Qu’il n’en tient dans une paſtille.
Entre nous autres Confiſeurs ;
Nous ſavons ce que ſur les cœurs
Peuvent produire les douceurs.
Si donc une des nobles dames
Que vous chantez ſi galamment,
S’échauffant à vos douces flammes,
Fait de vous un heureux amant,
Songez au dédommagement

Que vous devez à ma boutique,
Et m’accordez votre pratique
Pour le baptême de l’enfant.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur

Le jour de Noël, j’irai à la meſſe de minuit ; il y aura grand réveillon chez moi, c’eſt le Comte qui a arrangé cela.

Le Comte attend ſans doute le jour de l’an pour me donner ſon portrait, afin que cela me ſerve d’étrenne. Quant à moi, je lui donnerai une gerbe de mes cheveux.

Adieu, ma chere, prens garde de t’enrhumer, le tems eſt des plus froids ; je touſſe un peu, et je me diſpoſe à garder la chambre, quoique ce ſoit aujourd’hui mon jour de loge aux Italiens.

Lettre de Mademoiſelle Roſimont.
Paris, ce 27 Décembre 1782.


Ah ! ma chere amie, que la veille de Noël je me ſuis amuſée à courir les Meſſes de Minuit, j’étois avec un officier de dragon, mis en bourgeois et moi en bourgeoiſe. Vingt fois j’ai penſé éclater de rire en voyant ces vieilles dévotes édentées, qui ne ceſſoient de ſe donner des mea culpa et ſe battoient pour parvenir au confeſſional. Je plains le prêtre obligé d’entendre leurs vilains péchés ; car en vérité je défie qu’elles en faſſent d’autres. J’imagine qu’ils ſe dédommagent lorſque quelque jeune tendron vient leur raconter ſes frédaines. Il me prit envie d’aller me mettre dans le confeſſional afin de voir ſi je ne pourrois rien entendre. Mon conducteur m’en empêcha et il fit bien. J’aurois été fort ſotte ſi le prêtre ſe fut retourné de mon côté, je n’aurois ſçu que dire, ne me ſouvenant plus comment il faut s’y prendre.

Après avoir couru depuis onze heures juſqu’à une heure du matin nous ſommes venus faire réveillon et coucher enſemble. Mon officier a célébré les trois meſſes de noël et je gage qu’aucun prêtre n’a officié de meilleur cœur que lui ; pour moi je l’ai bien ſecondé.

P. S. Excuſe, ma chere amie, j’oubliois de te ſouhaiter une bonne année. Je déſire que dans le courant de 1783 tu ne ſois jamais ratée, et que tu goûtes ſoir et matin du bonheur ſuprême. Avoue que voilà des ſouhaits dignes de ton eſpiégle. Mais badinage à part ils ſont très-bons et plus d’une femme déſireroit qu’ils s’accompliſſent à ſon égard. Rien n’eſt au-deſſus de la jouiſſance. Ces momens fortunés dans la vie ſont tout notre contentement. Hélas ! ſans eux que ſerions-nous ? Pour moi je ne pourrois ſupporter la vie.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Dimanche 29 Décembre 1782.


C’est la derniere fois que je t’écrierai de l’année. La partie que je t’avois annoncée pour le jour de Noël n’a pas eu lieu à cauſe de mon rhume, mais je ſors depuis trois jours. Tout le tems que j’ai gardé la chambre je n’ai ceſſé d’avoir du monde, le Comte ne m’a pas quittée un ſeul inſtant, ce qui m’a beaucoup gêné. Je n’ai pu voir mon amant que quelques momens à la dérobée. Il ſe rendoit dans la chambre de Sophie, et lorſque je voyois le Comte fort occupé à jaſer, je m’échappois pour aller l’y trouver. J’ai une fois penſé être ſurpriſe. Comme je deſcendois de chez ma femme de chambre, j’ai trouvé le Comte qui y montoit, inquiet de ma trop longue abſence et craignant que je ne me fuſſe trouvée mal. En vérité, trop de ſoins ſouvent importune. Adieu, mon cœur, je te ſouhaite en 1783 tout le bonheur poſſible ; quant à mon amitié, elle ſera toujours la même.

Lettre de Mademoiſelle Victorine.
Paris, ce 30 Décembre 1782.


La femme de mon vieux, ma bonne amie, eſt morte, cela lui donne beaucoup d’affaires, j’en profite pour avoir plus de paſſades qu’à l’ordinaire quoique cependant elles ſont rares, attendu qu’il y a peu d’étrangers. Je vais aux ſpectacles d’où quelque fois je ramene quelqu’un ſouper chez moi. Il s’en eſt trouvé un parmi eux qui eſt ſingulierement conſtitué, il a trois couilles et un vit qui n’eſt pas plus gros que le petit doigt. Il bande beaucoup et décharge preſque auſſitôt, mais pluſieurs fois de ſuite ; en trois fois qu’il me l’a mis pendant la nuit, il a déchargé quatorze fois. J’ai vu quelques hommes dans ma vie, mais je n’ai jamais rien vu de ſemblable. Cela m’a divertie un moment. J’ai un jeune auteur dramatique qui me fait la cour. Il aura mes faveurs s’il veut me donner une entrée d’un an aux italiens[10]. Je finis, ma bonne amie, en te ſouhaitant beaucoup de bonheur pour l’année où nous allons entrer. Quant à mon amitié elle ſera toujours la même et durera autant que moi.


Fin du Tome Premier
  1. Le lieutenant général de police.
  2. A Paris, ce n’eſt pas le tems qui regle les ſaiſons, mais les époques que voici : Le premier Novembre, les habits et robes d’hiver et le manchon. Le jour de Pâques, les habits et robes de printems. Le jour de la Pentecôte, les habits et robes d’été. Et le premier Octobre, les habits et robes d’automne. Un homme, qui ſe pique de ſe bien mettre, aime mieux mourir de froid, ou périr de chaleur, que de ne pas ſuivre ſtrictement l’étiquette. Il auroit peur qu’on ne le prît pour un homme arrivant du Congo.
  3. Voyez la lettre du 20 Mai.
  4. Priſon ou l’on met les filles de mauvaiſe vie en attendant qu’elles ſoient jugées par le lieutenant général de police.
  5. Maiſon de correction auprès de Paris où l’on envoye les filles publiques pour trois, ſix et neuf mois, ſelon le gravité du délit. Elles ſont obligées de faire une certaine tâche d’ouvrage chaque jour, ou de payer une ſomme dite, ſi elles veulent s’en diſpenſer. En ſorte que, par ce moyen, elles payent ou gagnent leur nourriture.
  6.   Anciennement, la meſſe, où alloient les agréables et les demoiſelles qui vouloient étaler leurs attraits, étoit celle des Quinze-Vingts. Depuis qu’ils ont été transférés dans le Fauxbourg Saint-Antoine, c’eſt maintenant aux Petits-Peres, Couvent près la place des Victoires, où ſe dit la meſſe du beau monde.
  7. On l’appelle ainſi à cauſe qu’étant extrêmement blonde, et ayant la peau d’une blancheur extrême, elle a le boſquet de cypris d’un noir d’ébene. Ce que je rapporte ici n’eſt pas de oui-dire, je l’ai vu moi-même.
  8. C’eſt le plus fameux cordonnier pour femme qu’il y ait à Paris. Quand il vient prendre meſure c’eſt actuellement en cabriolet, mais anciennement c’étoit en caroſſe. Il s’eſt ruiné par ſon luxe ; ſa femme eſt très-jolie, il en eſt éperdument amoureux. Les meubles de chez lui étoient en damas ; il donnoit des concerts, des bals, et voyoit beaucoup de gens de diſtinction qui alloient courtiſer Madame et rire de ſes ſottiſes. Quand M. Charpentier prend meſure de ſouliers à une jolie femme, il eſt plaiſant de l’entendre ; il l’accable de complimens. On ne le prendroit pas à ſon habillement pour un cordonnier, mais pour un homme de robe. Il eſt en habit noir, avec une perruque à la conſeillere.
  9. Les filles ont la fureur de ſe faire dire leur bonne aventure, elles ſont ſans ceſſe occupées à déterrer les Bohémiennes, qui ne font leur métier qu’en très-grande cachette ; car quand la police les découvre elle les envoye prophétiſer à Bicêtre.
  10. A chaque pièce que donne un auteur, il a une entrée d’un an. Quand il en a donné aſſez pour avoir ſes entrées pour la vie, il peut alors en diſpoſer en faveur de qui lui plaît.