Correspondance d’Eulalie/I/03

La bibliothèque libre.
A Londres, chez Jean Nourse. M.DCC.LXXXV (p. 57-146).
Troisième trimestre 1782

Lettre de Mademoiſelle Felmé.
Ce premier Juillet 1782.


Comme tu aimes à chanter je m’empreſſe de te copier cette chanſon qu’on va venir me reprendre à midi, en me venant chercher pour aller dîner à St. Denis. Ne ſois plus ſi pareſſeuſe, tu m’inquietes.

Le ſouverain bien.
Air : Charmantes fleurs etc.

Zéphirs légers, qui, ſur le ſein de flore,
Volez ſans ceſſe et changez de lien,

Il eſt un bien plus doux cent fois encore ;
Et voir Jeannette eſt le ſouverain bien… Bis.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Céphale aimé de la brillante Aurore

Au ſort des Dieux crût égaler le ſien.
Il eſt un bien plus doux, Jeannette, encore ;
Et vous entendre eſt le ſouverain bien… Bis.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Belle Jeannette, un cœur qui vous adore,

Au ſort des Dieux peut préférer le ſien.
Il eſt un bien cent fois plus doux encore,

Plaire à Jeannette eſt le ſouverain bien… Bis.
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur

Que manque-t-il à ce cœur qui l’adore ?
Je vois Jeannette, et même je la tiens.
Dieu ! il eſt donc un bien plus doux encore ?
Mais taiſons-nous ſur ce ſouverain bien… Bis.

Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
La voir, l’ouir, la tenir même encore,

Triple bonheur, oui, vous fûtes le mien.
Jeannette eſt ſage et l’amant qui l’adore

Peut tout attendre, hors le ſouverain bien… Bis.
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Correspondance d’Eulalie, séparateur
Lettre de Mademoiselle Julie.
Ce Lundi 1 Juillet 1782.


Mon ſilence depuis quelques jours vient de ce que je ſuis fort occupée avec un jeune homme qui débute dans le monde, et que j’ai attiré dans mes filets. Non-ſeulement il m’a retiré mes bijoux, mais encore, je lui ai accroché quinze louis, en faiſant venir, à l’heure qu’il étoit chez moi, un ami de mon laquais, comme un huiſſier, qui avoit un billet de moi, et pour lequel il venoit ſaiſir mes meubles à défaut de payement. Il m’en a coûté un louis pour cela et quelques larmes, car j’en ai verſé en feignant le déſeſpoir, lorſque le prétendu huiſſier a voulu ſaiſir. D’abord j’ai dit que j’allois envoyer en gage mes effets pour payer, que je ne voulois pas qu’il ſe génât pour moi. Plus je faiſois de difficulté de recevoir les quinze louis, plus il me preſſoit. Alors, voyant que je refuſois toujours, il s’adreſſa à l’huiſſier, lui donna l’argent et déchira le billet. Il m’a auſſi donné pluſieurs robes et quantité de chiffons[1] ; je n’ai pas beſoin de lui demander, mais ſeulement de déſirer. Je ne ſais pas encore trop ſon nom. C’eſt un jeune homme de qualité, à ce que je crois ; il vient toujours incognito. Mais qu’il continue ainſi tant qu’il voudra, pourvu qu’il finance, c’eſt le point capital. Il eſt aſſez vigoureux ; il m’a aſſuré que je ſuis la premiere femme galante qu’il voit ; il dit que c’eſt une femme de chambre de ſa mere (qui eſt ſortie de la maiſon) qui a eu ſon pucelage il y a trois mois. Adieu, mon cœur, porte-toi bien.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Mercredi 3 Juillet 1782.


J’ai été dîner hier chez Roſette, qui m’avoit invitée. En arrivant elle a débuté par me demander ſi je voulois gagner cinq louis. Je lui ai répondu que cela ne ſe refuſoit pas. Hé bien, m’a-t-elle dit, voilà le fait.

Il y a quelques jours qu’un vieux ſquélette, affublé d’une immenſe perruque, m’a accoſtée chez Nicolet, en me diſant : ma reine, vous êtes bien jolie, et je m’eſtimerois heureux de faire connoiſſance avec vous. Je m’en défendis le plus poliment poſſible ; mais, perſécutée par ſes demandes, je lui ai enfin permis de me venir voir. S’adreſſant alors à ma femme de chambre[2], à qui il gliſſa ſix francs dans la main, il lui demanda mon adreſſe. Il eſt venu en effet le lendemain chez moi et m’a fait mille amitiés ; enſuite il m’a propoſé dix louis, moyennant que je me prêterois à ſon goût, qu’il m’a dit être de voir deux femmes nues ſe donnant réciproquement du plaiſir. Il a ajouté que ſurement je devois connoître quelqu’amie qui ne refuſeroit pas de me ſeconder. J’y ai conſenti et lui ai donné parole pour aujourd’hui à quatre heures. J’ai penſé que tu te prêterois à cette plaiſanterie. Très-volontiers, lui dis-je. La ſoupe étant ſervie, nous nous mîmes à table.

Notre homme eſt arrivé à quatre heures préciſes. Il nous ſalua toutes deux de l’air le plus comique, puis, voulant galantiſer un peu, il vint nous ôter nos mouchoirs et tâter nos tetons. Nous le remerciâmes de ſa courtoiſie et achevâmes de nous dèshabiller. Lorſque nous fûmes nues, nous fîmes ſemblant de nous amuſer Roſette et moi ; auſſitôt le vieux paillard, déboutonnant ſes culottes, a étalé au grand jour un flaſque priape qui reſſembloit à du parchemin pliſſé ; enfin, après l’avoir patiné et ſecoué pendant deux heures, tandis qu’il examinoit toutes les parties de nos corps, qu’il couvroit de baiſers, il eſt parvenu à faire une aſſez courte libation. Il a beaucoup vanté la beauté et la blancheur de nos corps, et en nous remerciant de notre complaiſance, il nous a propoſé de recommencer la ſéance dans huitaine. Nous avons accepté, faute de mieux. Adieu, je finis, on m’annonce une pratique[3].

Lettre de Mademoiſelle Victorine.
Ce 6 Juillet 1782.


Tu ſais bien la jolie Luzzi des Français ; hé bien, ma bonne amie, elle eſt convertie et s’eſt retirée dans un couvent. Arnoult[4] a dit à ce ſujet : elle s’eſt fait ſainte la coquine des qu’elle a ſu que Jésus s’eſt fait homme.

Depuis quelque tems je ſuis peu employée par la comteſſe. Mais j’ai le Baron de Vidersbach qui m’occupe aſſez. Voilà trois jours de ſuite qu’il m’a fait faire des ſoupers avec des ſeigneurs de la cour. Cela m’a peu valu, car ce Baron eſt un Arabe, un juif, il n’eſt pas juſte dans les comptes ; de plus, il ne donne pas la moitié comme c’eſt l’uſage, mais ſeulement le tiers. Les tems ſont ſi durs qu’il faut bien en paſſer par où il veut.

Nous avons ici des chaleurs exceſſives ; je regrete bien le palais royal. Je vais quelquefois me promener aux champs Élyſées. Ils ſont aſſez fréquentés. Les paillards honteux commencent à y aller. J’en ai ſurpris un en flagrant délit… J’ai joué le rôle d’une femme honnête et je l’ai ſermoné ainſi que la pauvre créature qui l’obligeoit. Cela m’a divertit un moment. Adieu, ma bonne amie, quand ſerons-nous réunies !

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Dimanche 7 Juillet 1782.


J’ai été ſamedi à St. Denis avec mon petit jeune homme ; nous avons dîné au Pavillon royal[5], où nous nous ſommes fort amuſés. De là nous avons été au Bois de Boulogne. Nous en revenions très-ſatisfaits l’un de l’autre, lorſque notre voiture a caſſé aux Champs Élyſées[6]. Il n’y a heureuſement eu perſonne de bleſſé ; mais hélas ! juge du guignon, dans le moment où l’on étoit empreſſé de nous tirer de la voiture, la mere de mon jeune homme a paſſé près de nous dans un ſuperbe caroſſe, avec trois laquais derriere. Il peut avoir été apperçu des gens de ſa mere ; il craint qu’on n’en parle à l’hôtel et que cela ne lui faſſe quelques hiſtoires. Je l’ai raſſuré autant que j’ai pu, en lui conſeillant de nier le fait. Il eſt très-embarraſſé et moi fort inquiète ; car je ſerois fâchée de le perdre, ſes manieres honnêtes m’attachent à lui. On a bien raiſon de dire que la vie eſt pleine de ſoucis.

On fait ici beaucoup de changemens à la redoute chinoiſe[7], qu’on ſe propoſe de rendre plus agréable que l’année paſſée. Il me tarde bien que la foire de St. Laurent arrive.

J’ai changé de femme de chambre et de laquais ; ils s’étoient amourachés l’un de l’autre, et afin de ſalir moins de draps, ils couchoient enſemble. Je le leur aurois volontiers paſſé, s’ils ne ſe fuſſent entendu pour me voler en groſſiſſant mes mémoires et en faiſant de doubles emplois. Je n’aurois pas cru cela de Victoire ſi on me l’avoit dit, il a fallu que je le voye pour m’en convaincre. On eſt ſouvent bien aveugle ſur le compte de certaines perſonnes, quand on en eſt coëffé. Adieu, ma chere amie.

Lettre de Saint Jean[8].
Ce 14 Juillet 1782.


Mademoiselle !

Vous m’avez promis à votre départ que ſi vous aviez beſoin d’un domeſtique vous m’écririez pour me rendre à Bordeaux. Cependant, Mademoiſelle, vous ne m’avez pas encore fait l’honneur de m’écrire. Je me flatte cependant que vous me tiendrez votre promeſſe, connoiſſant mon attachement pour vos intérêts, et ſachant que perſonne n’a plus de talents que moi pour tromper un entreteneur ; mentant, au mieux, ayant un front qui ne rougit jamais.

J’ai l’honneur d’être avec un profond reſpect

 Mademoiselle

Votre très-humble et
très-obéiſſant ſerviteur.
Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Lundi 15 Juillet 1782.


Je ne ſais ſi en travaillant quelque-fois à la propagation de notre pauvre eſpece, tu as jamais penſé bien ſérieuſement à remplir le premier but de la création ? J’en doute, et je t’avoue franchement que le ſeul plaiſir m’y a toujours porté, ſans beaucoup m’embarraſſer de l’intention du créateur. Un jeune clerc, me badinant l’autre jour ſur cet article, me montra des vers ſur la création qui m’ont beaucoup amuſée. J’ai fait le diable pour en avoir une copie, que je t’envoie.

LA CRÉATION DU MONDE,

Poëme en ſept chants.



INTRODUCTION.

De la création je chante les merveilles.
Sujet neuf. Ecoutez, ouvrez bien les oreilles.

Chant I.
Rien n’étoit, les brouillards ſe coupoient au couteau.

L’eſprit d’un pied divin étoit porté ſur l’eau ;
Il dit : je n’y vois goûte et créa la lumiere.
Dès-lors nuit et journée, et ce fut la premiere.


Chant II.
Il place au ciel les eaux qui tromberent ſoudain ;

Et dès le ſecond jour la pluie alla ſon train.

Chant III.
Il arrangea la mer en dépit des lacunes.

La terre produiſit. Ce jour fut pour des prunes.

Chant IV.
Le ſoleil auſſitôt obéit à ſa voix ;

Il diſpenſa les jours et régla tous les mois.
Enfin las d’allumer le ſoleil, ſur la brune
Le quatrième jour il fit luire la lune.

Chant V.
Bien ! très-bien, dit l’Eſprit, ce que j’ai fait eſt bon ;

Mais il nous manque encor volatile et poiſſon.

Peuplez-vous terre et mer ; que maître corbeau perche.
Et le cinquième jour l’Eternel fit la perche.

Chant VI.
Eh quoi ! les animaux n’auront donc pas de loi ?

Non, non, pour les manger, créons un petit roi.
Faiſons, ſemblable à nous, ce jeune gentilhomme.
Il fit ce ſouverain. C’eſt vous, c’eſt moi, c’eſt l’homme.
Quoi ! l’homme ſeul ? Eh non. De ſa côte il lui fit
De quoi le réjouir et le jour et la nuit.
Allez vous faire, allez, leur dit-il, ſans remiſe.
Et depuis leurs enfans y vont ſans qu’on leur diſe.


Chant VII.
C’eſt ainſi qu’en ſix jours l’univers fut bâclé,

S’enfila de lui-même et ſe trouva réglé.
Et l’Eſprit ſatisfait, toujours, toujours le même,
Comme dit Beaumarchais, ne fit rien le ſeptieme.

Je me ſuis occupée toute la matinée à tâcher de créer avec mon jeune homme. Nous avons paſſé pluſieurs heures agréables. On a bien raiſon de dire, que les novices, en fait de combats amoureux, ſont des héros. Il n’a rien tranſpiré chez lui de notre rencontre au petit cours. Il a dit aux laquais qui l’avoient reconnu, qu’ils s’étoient trompés, et tout a fini par-là. De jour en jour je l’aime davantage ; il ne ceſſe de me donner. Ce matin il m’a apporté une jolie bague faite de ſes cheveux ; ſon grand mérite eſt, qu’elle eſt entourée de diamants. Ah, qu’il ſait bien ſe conduire avec une femme ! Heureuſe celle qui l’aura quand il pourra diſpoſer de ſa fortune ! Adieu.

Lettre de l’Abbé Chatar.
Ce 19 Juillet 1782.


Je vous prie, ma chere Eulalie, de me mander ſi Roſe, qui eſt partie de Paris, eſt à Bordeaux. Il y a un Ruſſe qui m’a écrit pour la lui envoyer, ſi vous découvrez où elle eſt. Donnez m’en avis il y aura vingt-cinq louis pour vos peines. Je finis, ma chere Eulalie, en vous aſſurant que je vous ſuis toujours attaché et très-fâché que vous ne puiſſiez plus faire de partie chez moi. Tâchez, je vous ſupplie, de me donner des nouvelles de Roſe, Votre ami.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Samedi 20 Juillet 1782.


J’apprens avec bien du plaiſir, ma chere amie, que tu as pour entreteneur un vieux Conſeiller au Parlement. Ces Meſſieurs ſont exigeans, donnent peu de plaiſir ; mais au moins, on peut les tromper en ſécurité, attendu que dans le tems qu’ils ſont au palais on ne craint pas d’être ſurpris. La ſeule choſe, c’eſt qu’il faut que tu ayes de la conduite dans tes infidélités, et de prendre garde à ta ſanté. Sais-tu bien que dans le genre de vie que nous menons il faut une eſpece de conduite et avoir une tête bien organiſée ; en même tems ſavoir nous contrefaire pour paroître toujours gaies, quand même nous ne le ſerions pas. L’amour craint la triſteſſe et s’envole auſſitôt. C’eſt aſſez moraliſer : il faut que je te parle d’une partie que j’ai faite chez la Comteſſe. Nous étions quatre, deux femmes et deux hommes. Avant le ſouper, on s’eſt mis nu, et un des hommes (car ils ſavoient jouer tous deux du violon) jouoit des allemandes et danſoit avec nous. Quand ce petit manege eut duré une heure, un d’eux m’a priſe, et me couchant ſur un lit de repos, a tout de ſuite pénétré dans l’antre de Vénus. Mais quel a été mon étonnement, quand l’autre prenant un martinet a prié ma compagne de le fouetter pendant qu’il goûteroit du plaiſir italien avec ſon camarade. Quand cela a été fini, celui qui avoit goûté du plaiſir anti-phyſique a pris Roſalie et l’a portée ſur le lit de repos pour ſacrifier à l’amour ſelon ſon vrai culte. Auſſitôt l’autre me remettant le martinet en main m’a priée de faire comme avoit fait Roſalie, et a plongé le même dard, qui ſortoit de l’antre de la volupté, dans un endroit que la nature ne lui a nullement deſtiné. Je t’avouerai que je l’ai fouetté d’une belle maniere ; ſon derriere étoit bien arrangé. Après cette ſcene, qui m’avoit amuſée dans le commencement et qui a finie par me révolter, chacun s’eſt ſéparé. Pour moi, j’étois de fort mauvaiſe humeur, et j’ai très-mal paſſé la nuit. Mon réveil a été bien différent ; c’étoit mon jeune homme qui m’apportoit pluſieurs robes de taffetas des mieux choiſies ; il veut que je les faſſe faire tout de ſuite. Tu juges bien que j’y ai conſenti. La vie eſt un mélange de chagrin et de plaiſir. Adieu, ma bonne amie, je t’aimerai tant que je vivrai.

Lettre de Mademoiſelle Felmé.
Ce 25 Juillet 1782.


Tu ſais, mon cœur, que la Prieure et la Vermeille ſont deux fameuſes tribades. Elles vivent enſemble. Voici deux lettres de leur correſpondance, elles ſont la nouvelle du jour.


De Vermeille à Prieure.

“ Fatiguée des plaiſirs que je goûtai dans tes bras la nuit paſſée, à peine ai-je, mon cher cœur, la force de t’écrire ; le feu de tes baiſers circule dans mes veines, et tes brûlantes careſſes ſont encore préſentes à mon imagination ; délicieux momens ! pourquoi n’avons-nous pas aſſez de force pour vous prolonger ? Ce monſtre[9], que je ne regarde qu’avec horreur, et que la néceſſité me force à recevoir dans mon lit, doit ſortir à trois heures après-midi, tendre amie de mon cœur, profite de cet inſtant précieux ; viens dans mes bras, viens t’enivrer de toutes les délices de la volupté ; c’eſt dans mes careſſes que tu trouveras la ſuprême félicité ; Dieu !… quel raviſſement !… un doux tranſport m’égare… je te vois… c’eſt toi que je preſſe… que je baiſe… je ne puis plus écrire… je meurs.


Réponſe de Prieure.

„ Calme-toi, chere mimi, calme-toi. Je ſuis comme toi embraſée des feux de l’amour, et me laiſſe aller aux images enchantereſſes que m’offre ce dieu charmant ; mais il vaut mieux ſe ménager pour tantôt. Je te promets beaucoup de plaiſir, et je dépoſerai dans tes mains et dans ta jolie bouche des preuves ſenſibles du tranſport qui m’agite.

„ Ton joli petit chien ſe porte à merveille, après toi il eſt le ſeul objet que je chériſſe. Il n’eſt pas de plaiſir qu’il ne m’ait fait goûter ce matin[10]. Il eſt infatigable : à tantôt, Mimi.

En vérité ces lettres ſont bien tendres. L’amant et la maîtreſſe les plus paſſionnés ne s’écriroient pas autrement. Je n’ai jamais eſſayé du plaiſir que peuvent ſe procurer deux femmes. Vivent les hommes, Dieu les créa pour nous, et nous pour eux. Je ſuis ſûre, mon cœur, que tu penſes comme moi.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Jeudi 25 Juillet 1782.


Jeudi dernier j’étois allé chez Nicolet ; ma figure plut à un de ces êtres qui ne ſont ni ſéculier ni abbé, et qu’on peut en toute aſſurance appeller animaux amphibies. Mon gaillard crut que j’étois de ces demoiſelles qui viennent chercher qu’on leur paye à ſouper chez quelques traiteurs des boulevards, pour prix de leurs faveurs. Je ris en moi-même de ſon erreur, et réſolus de m’en amuſer. Après pluſieurs quolibets et un tas de fadeurs, que nous ſommes **accoutumées d’entendre, mon amphibie s’offrit de me donner à ſouper. Je lui dis, que je le voulois bien, pourvu qu’il aille le commander d’avance, afin qu’il fût prêt au ſortir du ſpectacle, étant obligée de rentrer avant onze heures du ſoir. Il me dit qu’il eſt à mes ordres, et court auſſitôt pour aller chez Bancelin[11]. Pendant ce tems-là je ſortis du ſpectacle. Je te laiſſe à penſer de l’étonnement de mon homme. A ſon retour, il aura été d’autant plus piqué, qu’il m’avoit donné un bouquet ſuperbe, et payé pluſieurs rafraîchiſſemens. Quand je l’ai conté à mon jeune homme, il en a beaucoup ri et m’a fort approuvée.

Je vais être libre d’ici à quelque tems, mon petit allant à la campagne, pour huit jours.

Hé ! comment menes-tu ton conſeiller ? Penſe à bien conduire ta barque, et à revenir ici couſue d’or. C’eſt ce que te ſouhaite ta ſincere amie.

Lettre de Mademoiſelle Roſalie.
Ce 3 Août 1782.


Comme j’étois à ma toilette voici, ma bonne amie, le billet qu’on m’a apporté de la part de mon jeune homme.


De l’hôtel de la force[12].

„ Il y a une heure que j’ai été arrêté ici pour une lettre-de-change de douze cents livres. Je vous prie, ma chere amie, de me les envoyer tout de ſuite. Je volerai dans vos bras vous en témoigner ma reconnoiſſance. Je ne ſerai pas longtems à m’acquitter envers vous, l’Echopier[13] doit me faire mes affaires de huit mille livres. Quoique ce ſoit un grand coquin, je retirai plus qu’il ne faut pour vous payer. „

Je répondis auſſitôt. Je ſerois charmée, Monſieur, de pouvoir vous rendre le ſervice que vous me demandez ; mais cela m’eſt impoſſible, ſi je n’avois une antipathie inſurmontable pour tout ce qui s’appelle priſon, j’irai vous conſoler et vous engager à ſupporter votre malheur avec fermeté ; perſonne ne vous étant plus attachée que moi.

Je me flatte que maintenant nous voilà brouillés. J’en ſerois charmée. Depuis quelque tems les cadaux n’alloient plus leur train. Il eſt à ſec. Quant au plaiſir il m’en donnoit peu n’étant nullement vigoureux. Ainſi maintenant cela ſeroit ni plaiſir, ni profit. Bon à mettre au rebut. Au moins paſſe quand on a l’un des deux. Heureux, lorſque les deux ſe trouvent enſemble ; mais maintenant c’eſt bien rare. Penſe à plumer ton Conſeiller.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Dimanche 4 Août 1782.


Ma chere amie, je ne reverrai plus mon jeune homme : voici la lettre que j’ai reçue de lui.

“ Ma bonne amie, mon cœur, ma bien-aimée, je ne ſais quel nom vous donner pour exprimer mon amour ; je ne vous reverrai de long-tems. Jugez de la peine que cela me cauſe. Le lendemain de notre arrivée à la campagne, ma mere me fit appeller le matin. Je me rendis dans ſa chambre. Ayant auſſitôt fait retirer ſes femmes, elle me parla ainſi : Monſieur, je ſais la vie que vous meniez à Paris. Quoi ! ſi jeune, donner dans le libertinage ! Eſt-ce là le fruit de la bonne éducation que vous avez reçue ? Comme je ne veux pas que vous vous perdiez, j’ai réſolu de vous faire voyager. M. de *** a la bonté de vouloir bien vous accompagner, tenez-vous prêt à partir dans trois jours. Enſuite, changeant de converſation, elle ſonna ſes femmes. Ce diſcours m’a conſterné. Je m’empreſſe de vous écrire afin que vous ne ſoyez pas inquiete de ne pas me revoir. Conſervez l’amitié que vous m’avez toujours témoignée, et croyez que, dès que je ſerai de retour, je revolerai dans les bras de la belle Julie que j’aimerai toujours et dont l’image ſera ſans ceſſe préſente à mon eſprit. Acceptez le billet de la Caiſſe d’eſcompte[14] que je joins ici comme une foible marque de mon amitié. Votre amant pour la vie. „

Ce contre-tems eſt affreux pour moi ; je lui étois réellement attachée et mes affaires alloient à merveilles. Ne pourrai-je donc jamais être heureuſe ? et ne verrai-je jamais que l’ombre de la félicité ? Ah ! ma chere Eulalie, que de traverſes dans la vie ! et qu’elle eſt ſemée d’épines ! Je t’embraſſe.

Lettre de Mademoiſelle Felmé.
Ce 15 Aouſt 1782.


Lundi dernier, mon cœur, la Préſidente me fit dire de venir chez elle à neuf heures du ſoir pour y ſouper et coucher. Je me rendis à ſes ordres. Juge de ma ſurpriſe de voir en arrivant un homme de cinquante à cinquante-cinq ans, qui était en jaquete avec un bourlet comme un enfant de trois ans, et qui dit à la Préſidente, Maman, eſt-ce la bonne que vous me donnez ? Oui, répliqua-t-elle, et ſe tournant de mon côté, elle me dit : “ Voici mon fils, Mademoiſelle, je vous le confie, ayez-en bien ſoin, c’eſt un petit vaurien ; mais il n’y a qu’à le bien fouetter ; voici des verges et un martinet, ne l’épargnez pas, paſſez dans cette chambre avec lui. „ Alors je ſortis avec mon grand enfant qu’il m’a fallu fuſtiger pendant plus de deux heures, pour qu’il parvint à faire une petite libation ; enſuite nous avons ſoupé, à une heure nous nous ſommes couchés, la nuit a été employée à dormir ; mais le matin il m’a fallu recommencer la ſcène de la veille. Avoue, mon cœur, qu’il y a des hommes qui ont des goûts bien baroques, et auxquels il eſt impoſſible de rien concevoir. Il ſeroit à ſouhaiter que M. le Comte de Buffon, ſi célèbre naturaliſte, voulut nous en donner l’explication.

Je ſuis bien mécontente de toi, il y a long-tems que tu ne m’as écrit, ton Robin ne doit pas tant t’occuper ; j’imagine bien que tu ne lui es pas trop fidelle. On peut aiſement attraper ces ſortes d’entreteneurs, il ſont ordinairement réglé comme un papier de muſique ; mais penſe à te ne pas laiſſer ſurprendre, comme il t’eſt arrivé avec le Marquis de ***. Au moins tire-t’en de même ; je n’ai de la vie connu de femme plus effrontée que toi ; c’eſt une qualité eſſentielle dans notre état. Hélas ! j’ai le malheur de ne pas l’avoir, un rien me déconcerte. Penſe, je te prie, mon cœur, à me donner de tes nouvelles.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Samedi 17 Aouſt 1782.


J’ai été, ma chere amie, à l’ouverture de la redoute Chinoiſe. On l’a réellement embellie : le Comte de *** m’a remarquée et me trouve ſort de ſon goût. On dit qu’il eſt brouillé avec ſa maîtreſſe. S’il vouloit me prendre, cela me feroit une bonne affaire pour moi. On le dit peu exigeant et facile à tromper ; ce ſont deux grandes qualités, et rares à rencontrer dans la même perſonne. Au reſte, il y avoit beaucoup de femmes et peu d’hommes à la redoute, et une quantité conſidérable de bourgeois et de bourgeoiſes. Morel et Henriette y étoient auſſi ; comment ſe ſont-elles raccommodées, après la ſcène qu’elles ont eue enſemble ? Ste. Lucie étoit la plus brillante ; un jeune provincial la ſuivoit et ne la quittoit pas d’un pas. Il y a eu une contredanſe par Laurette, Flore, Roſe et Violette. Peixoto[15] y étoit, apparemment pour chercher de l’un et de l’autre ſexe. L’abbé Chatar et ſes aſſociés y faiſoient triſte figure, il n’y a pas de l’eau à boire pour eux depuis la guerre. La Groſſet y étaloit ſes gros appas uſés ; elle avoit avec elle une jeune fille qui n’étoit pas mal. C’eſt gauche de s’accoupler avec de ſi jolies femmes, ayant des prétentions. J’allois ſortir, ma chere, quand mon amphibie de chez Nicolet m’ayant reconnue m’a accoſtée, en voulant me quereller ; mais j’ai fait l’étonnée, et j’ai ſi bien joué mon rôle, qu’il a réellement cru s’être trompé et m’a fait des excuſes. Je regrette bien que tu ne ſois pas ici pour m’accompagner ; j’avois avec moi Reneſſon, ce grand ſquelette ; ſans vanité, je n’ai pas peur qu’elle m’enleve perſonne. Adieu, mon cœur.

Lettre de Mademoiſelle Roſalie.
Ce 19 Aouſt 1782.


Depuis, ma chere amie, que j’ai refuſé les douze cents livres à mon jeune homme, je n’ai plus entendu parler de lui, ce qui me fait grand plaiſir.

Ce matin vers les onze heures on me dit qu’un jeune homme demandoit à me parler. J’ordonnai de le faire paſſer dans mon ſallon, où je fus le joindre après avoir examiné ſi j’étois préſentable. — “ Excuſez ma démarche, me dit-il, de venir vous voir ſans en être connu ; mais j’ai la plus grande envie de poſſéder autant de charmes que vous en avez ; j’eſpere que vous ne me refuſerez pas. „ En même tems il mit ſur ma cheminée une bourſe pleine d’or, et vole me donner un baiſer plein de feu, en m’entraînant ſur mon Sopha. Alors il ſe mit à examiner toutes les parties de mon corps, et à les couvrir de baiſers brûlans. J’attendois à tout moment une plus grande jouiſſance, et je croyois que ce qu’il faiſoit n’étoit que pour s’exciter. Je voulus lui donner des ſecours ; mais grand Dieu ! quel fut mon étonnement, lorſque je découvris que c’étoit une femme. Je me mis en colere ; mais ſe précipitant à mes genoux : “ Ah ! de grace chere Roſalie, me dit-elle, ne m’empêchez pas d’être la plus heureuſe des mortelles. „ Envain je voulus reſiſter ; mais elle m’avoit fait éprouver de bien douces ſenſations, et j’étois très-curieuſe de voir le dénoument de cette ſcène, je me radoucis, elle me pria de me ſervir de mes mains à ſon égard, et ſe précipitant ſur moi, elle mit ſa langue dans l’antre de la volupté. Ah ! Dieu avec quelle dextérité elle en parcouroit toutes les parties. J’eus un plaiſir inexprimable, auſſi lui remplis-je pluſieurs fois la bouche de la liqueur qui nous donne la vie. Pour elle, elle innonda mes mains. Après une heure de cet exercice elle ceſſa. Nous étions extrêmement fatiguées : elle me pria de lui faire donner du chocolat. En déjeunant je lui marquai ma ſurpriſe de ſon goût étant auſſi jolie qu’elle l’eſt. „ Ah ! me répliqua-t-elle, ſi vous ſaviez mon hiſtoire votre ſurpriſe ceſſeroit. „ Cela piqua ma curioſité et je l’engageai à me la dire, elle ſe fit un peu prier, mais enſuite elle céda à mes déſirs et me raconta les aventures, comme je te les tranſcris.

“ Je ſuis (me dit-elle) la fille d’un riche négociant de Lyon ; mon pere s’occupoit de ſon commerce, et ma mere me donnoit tous ſes ſoins. Hélas ! pour mon malheur le ciel me l’enléva que je n’avois encore que treize ans. Je la regrétai bien ſincérement : que depuis j’ai donné de larmes à ſa mémoire !

„ Il y avoit deux ans que j’avois perdu ma mere, lorſque mon pere me mena à un bal que donnoit un de ſes amis. L’aſſemblée étoit nombreuſe et des plus brillantes. Comme la nature m’a douée de quelques agrémens, et que j’étois miſe avec la plus grande élégance, en arrivant je fis ſenſation et tous les regards ſe fixerent ſur moi. C’étoit à qui danſeroit avec moi, en un mot, toutes les attentions étoient pour moi. Mon amour propre fût flatté d’une telle préférence, et je ne voyois pas ſans plaiſir le dépit que cela cauſoit aux femmes. Le Marquis de *** fut le plus empreſſé auprès de moi. C’étoit un jeune homme de vingt-cinq ans d’une taille au-deſſus de la médiocre ; d’une figure charmante, ayant des yeux vifs et plein d’une feinte tendreſſe qui ſavoit ſéduire : qui plus que moi a connu le pouvoir de leurs charmes ! je n’avois pas encore ſenti mon cœur ; mais il me parla auſſitôt. Un feu brûlant s’empara de mes ſens, je jettois ſans ceſſe les yeux ſur le marquis, ſi les miens rencontroient les ſiens, je les baiſſois, et une rougeur ſubite s’emparoit de mon viſage : mais bientôt ils étoient occupés à le rechercher. Je me retirai du bal brûlante d’amour, et l’image du Marquis, gravée dans mon cœur, et de la nuit il me fut impoſſible de fermer l’œil, j’étois dans une agitation continuelle, et je revis le jour avec inquiétude. La matinée me fut inſupportable ; j’étois conſumée par un feu dévorant : Hélas, pour mon malheur, quand je deſcendis pour dîner, je trouvai le Marquis, qui était venu voir mon pere ſous prétexte de fourniture pour ſon Régiment, et avoit été engagé à reſter. Il me combla d’éloges et me dit qu’il ſe félicitoit beaucoup d’avoir danſé avec moi, et ne l’oublieroit de la vie ; mais ce qui en diſoit davantage, étoit le langage expreſſif de ſes yeux. En ſortant de table il me gliſſa un billet dans la main, ſans que perſonne s’en apperçût, me diſant du ton le plus tendre que ſon ſort dépendoit de moi. Je fis la folie de le prendre. Dès que je fus rentrée dans mon appartement, je dévorai ce fatal billet ; il étoit écrit avec de feu ; le Marquis m’aſſuroit du plus violent amour, et que ſes vues étaient légitimes. Il me prioit de lui faire une réponſe, et m’indiquoit le moyen de la lui faire parvenir en la jettant par ma fenêtre, lorſqu’il viendroit à onze heures me donner une ſérénade ; afin que je puiſſe ouvrir ma croiſée, ſous le prétexte de mieux entendre la muſique.

„ Je n’aurois jamais dû répondre ; mais à mon âge, ſans expérience et brûlante d’amour étois-je capable de réflexion, et pouvois-je imaginer qu’il eſt des barbares qui ſe jouent de l’honneur et de la vérité, je lui marquai que je m’eſtimerois très-heureuſe ſi j’étois unie à l’homme qui ſeul pouvoit faire mon bonheur. Dès ce moment le Marquis ne négligea rien pour ſe lier avec mon pere, et par ſes ſoupleſſes il en gagna la confiance et l’amitié. Je le voyois preſque tous les jours, et mon amour ne faiſoit qu’augmenter. A prix d’or, le Marquis ſéduiſit ma bonne et obtint qu’elle lui feroit avoir un tête-en-tête avec moi. La vue inopinée de mon amant fit une telle ſenſation ſur moi que je m’évanouis. Il me retint dans ſes bras, et le monſtre profitant de mon état me ravit l’honneur. Le plaiſir me faiſant revenir à moi, l’état dans lequel je me trouvai ne me laiſſa aucun doute de ce qui venoit d’arriver ; je fondis en larmes ; mais je n’avois pas la force de me plaindre, chériſſant mon vainqueur, je laiſſai ſeulement échapper quelques ſoupirs, et des mots entrecoupés : mais le Marquis ſût ſi bien faire par ſes proteſtations et ſon langage ſéducteur que je lui pardonnai. Un tendre baiſer fut le ſceau du raccommodement.

„ Depuis ce moment, le Marquis venoit paſſer une partie des nuits avec moi. Envain je le preſſois de parler à mon pere pour nous unir ; mais toujours il éludoit ſous de vains prétextes, et j’étois aſſez bonne que de le croire. Enfin nos jouiſſances me procurerent un état qui ne laiſſoit plus la poſſibilité de reculer notre établiſſement. Je le dis au Marquis, qui me promit que dans quelques jours il en parleroit à mon pere, n’attendant pour cela qu’une lettre de Paris. Mais quel fut mon étonnement, lorſque le lendemain mon pere me dit, que le Marquis étoit venu de grand matin prendre congé de lui partant pour ſon Régiment, et qu’il l’avoit chargé de me faire ſes adieux, je penſai me trouver mal. Auſſitôt après le dîné, je remontai à mon appartement et fis part à ma bonne du départ du Marquis. Elle me raſſura, en me diſant, que ſans doute c’étoit pour affaire preſſée, que je n’avois rien à craindre de ſa tendreſſe. On croit aiſément ce qu’on déſire ; mais diſois-je en moi-même pourquoi ne m’a-t-il point écrit. Enfin j’avois paſſé quatre jours dans les plus cruelles alarmes, lorſque ma bonne me remit une lettre du Marquis. Il me marquoit que ſa famille ayant diſpoſé de lui, il ne pouvoit jamais m’appartenir, que je n’euſſe rien à craindre de ſon indiſcrétion. Que quant à l’état où j’étois, il donneroit à ma bonne tout ce qu’il faudroit pour qu’on ignore mes couches et qu’il ſe chargeroit de l’enfant. A peine eus-je lu cette lettre que je tombai évanouie, ma bonne eut toutes les peines du monde à me faire revenir. Une fievre brulante s’empara de mes ſens. Hélas ! elle mit fin à mon martyre. Je fis une fauſſe couche, et grâce à ma bonne, perſonne n’en ſut rien. Ma jeuneſſe et la force de mon tempéramment me rappellerent à la vie, quoique j’aye été prête à deſcendre au tombeau. Ma convaleſcence fut des plus longues, je devins mélancolique, et pris la plus grande antipathie pour les hommes. Cela fut même juſqu’au point de diminuer l’amitié paternelle. Je pris la réſolution d’aller au couvent. J’en demandai la permiſſion à mon pere. Il m’en marqua ſa ſurpriſe, en diſant qu’il cherchoit à m’établir. Je l’aſſurai que je n’avois nulle envie de me marier, prétextant ma grande jeuneſſe. Enfin, perſécuté par mes prieres, mon pere conſentit à ce que je fuſſe au couvent et me mit à l’abbaye de ***. Là éloignée des hommes, je recommençai à prendre mon enjouement. Je me liai étroitement avec ſœur Dorothée. Notre amitié prit ſa ſource dans ſa grande averſion pour un ſexe, dont comme moi elle avoit été le jouet. Mon amie me fit connoître des jouiſſances que je n’avois jamais éprouvées avec le Marquis. Mon amitié s’accrut à un tel dégré, que pour ne jamais quitter Dorothée, je réſolus de me faire religieuſe. Mon pere s’y oppoſa ; mais une goute remontée me l’ayant enlevé, je pris le voile. Mon année de noviciat alloit être finie, je n’avois plus qu’un mois pour prononcer les vœux qui m’enchaînoient pour la vie lorſque ma chere Dorothée mourut. Sa mort fut pour moi des plus ſenſibles et je penſai la rejoindre. Mais ma jeuneſſe et la force de mon tempérament furent encore vainqueurs. Dès que je fus rétablie, je quittai le couvent. Ma vocation n’exiſtoit plus, et je ne pouvois ſupporter d’habiter un lieu où je goûtai tant de plaiſirs et qui me retraçoit ſans ceſſe l’image de Dorothée.

„ J’avois atteint l’âge ou les loix me laiſſoit maîtreſſe de diſpoſer de ma fortune. Je réaliſai la mienne qui étoit en papier et j’achetai une terre où depuis près d’un an, je vis dans la plus grande ſolitude ſeulement entourée de femmes : mais je ſens que je ne puis me paſſer des jouiſſances, auxquelles m’a accoutumée ma chere Dorothée, que je regrette et regretterai toute ma vie. Je ſuis venue à Paris pour tâcher d’y trouver une femme qui me plaiſe et qui puiſſe la remplacer. Je partagerai ma fortune avec elle, et lui aſſurerai un ſort après moi. Je ſuis fâchée, ma chere Victorine, que vous ne puiſſiez me convenir. Votre figure me plaît ; mais j’ai bien vu que vous n’étiez pas mon fait, et ne vous prêtiez à mon goût que par complaiſance. J’eſpere maintenant que vous n’êtes plus ſurpriſe. ” Je lui dis que non, je voulus tâcher de la faire revenir de ſon antipathie pour les hommes ; „ Non, me dit-elle, jamais ils ne me tromperont une ſeconde fois enſuite elle me pria de lui accorder de nouveau mes faveurs, j’y conſentis auſſitôt : eh bien ! ma chere amie, elle m’a fait éprouver de nouveaux plaiſirs : je t’avoue que je ne voudrois pas me prêter ſouvent à de pareilles fantaiſies. Je deviendrois peut-être tribade après cette ſeconde ſcene, ma femme eſt partie en mettant encore vingt-cinq louis ſur ma cheminée. Moi j’ai pris un conſommé et me ſuis miſe au lit, d’où à ſept heures du ſoir je me ſuis relevée, pour raconter à ma chere Eulalie la plaiſante aventure qui m’étoit arrivée.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Lundi 26 Août 1782.


J’ai retourné une ſeconde fois à la redoute, et j’y ai encore vu le Comte de *** qui m’a abordée fort galamment en me diſant qu’il eſpéroit que je lui permettrois de me venir voir. Je lui ai répondu qu’un homme comme lui étoit ſur qu’on s’empreſſeroit de le recevoir. Il m’a demandé mon adreſſe et mon heure pour le lendemain. Je lui ai dit où je demeurois et l’ai laiſſé le maître de l’heure, l’aſſurant que la ſienne ſeroit la mienne. Il m’a promis de venir à midi, ſi cela ne me gênoit pas. Non ſurement, M. le Comte, ai-je répliqué en lui lançant un regard tendre. Il eſt enſuite parti pour aller ſouper au fauxbourg St. Germain. J’ai peu dormi cette nuit, ayant l’eſprit fort occupé du Comte, et voulant avoir fait une toilette quand il arriveroit. Cependant je ne voulois rien qui eût l’air d’affectation. J’avois un déshabillé de mouſſeline brodée, j’étois coëffée en cheveux, avec une treſſe flottante ſur mon ſein ; mon corſet n’étoit point noué, pour qu’il puiſſe appercevoir mes deux petits globes, qui ſe ſoutiennent encore ſans le ſecours de l’art. Je m’étois étendue ſur mon ſopha et feignois de dormir, afin qu’en entrant, il apperçût ma jambe que j’ai aſſez belle.

A midi moins un quart j’étois dans cette attitude lorſque le Comte arriva. Je fis ſemblant de me réveiller en ſurſaut. Il me fit des excuſes d’avoir troublé mon repos. Ses yeux faiſoient, en me parlant, la revue de mes charmes, et ce qu’il en découvroit paroiſſoit lui faire naître l’envie de connoître les autres. Après s’être amuſé un moment de cette inſpection ſans dire un ſeul mot, il s’écria tout à coup : ah ! Julie, que vous êtes charmante ! Si vous vouliez m’être fidelle et vivre avec moi, je ſerois le plus heureux des hommes. Mais, lui ai-je répondu, M. le Comte, il faut un peu nous connoître et ſavoir ſi nos caracteres ſympatiſent enſemble. Je ſerois très-flattée de vivre ſous les loix d’un Sultan tel que vous. Non, me dit-il, ce ſera moi qui vivrai ſous les vôtres. Vous êtes trop galant, dis-je alors. Il ſe jeta auſſitôt à mes genoux, me preſſa, me conjura avec tant de douceur et d’inſtances de lui accorder mes faveurs, que mon cœur ſenſible ne pouvant y réſiſter, il devint heureux ; et, ce qu’il y a de mieux encore, c’eſt que je partageai réellement ſon ivreſſe et ſes plaiſirs, ce qui, comme tu ſais, nous arrive rarement. Si tu l’avois vu, ma chere Eulalie, après ces délicieux momens, il ne ſe poſſédoit plus, il couvroit toutes les parties de mon corps de ſes baiſers, me donnoit les noms les plus tendres et m’aſſuroit qu’il n’avoit goûté de ſa vie un auſſi grand plaiſir. Revenu du délire amoureux dans lequel il étoit tombé, il me dit qu’il étoit entierement réſolu de vivre avec moi ; que ſes affaires l’appelloient à la cour pour quelques jours, et qu’à ſon retour je ſerois auſſi contente de lui qu’il l’avoit été de moi. Enſuite me donnant mille baiſers, et m’appellant ſa maîtreſſe, il prit congé de moi en mettant ſur ma cheminée un rouleau de trente louis. Quoique je n’euſſe juſqu’alors qu’à me louer des procédés du Comte envers moi, je t’avouerai que ce dernier trait me flatta infiniment et mit le comble à ma joie. Je ne doute pas que tu ne la partages, étant mon amie. Adieu, je te ſouhaite pareille aubaine.

P. S. Tu ne me dis rien de ton Conſeiller ; je ſerois pourtant charmée de ſavoir ſi vous êtes toujours bien enſemble.

Lettre de Mademoiſelle Roſimont.
Paris ce 26 Août 1782.


Tu ſauras, ma chere amie, qu’à un ſouper que j’ai fait hier avec cette coquine d’Urbain, nous nous ſommes diſputées. J’ai été obligé de lui céder le champ de bataille. Pour m’en venger, ce matin je me ſuis levée à ſept heures et me ſuis habillée en homme ; j’ai été chez Urbain où je me ſuis préſentée comme un jeune homme qui vouloit lui parler. Elle dormoit encore ; ſa femme-de-chambre a fait quelque difficulté de me laiſſer entrer, mais elle a fini par m’ouvrir, alors j’ai fermé les verroux et ouvert avec fracas les rideaux. M’étant fait reconnoître, j’ai dit à Urbain, que je venois pour avoir raiſon de ſes ſottiſes. Et en même-tems je lui ai préſenté deux piſtolets. Auſſitôt à peine éveillée, elle eſt ſautée en chemiſe hors de ſon lit et s’eſt jettée à mes pieds en me demandant pardon. Je lui dis que ſi elle aimoit mieux, je lui offrois l’arme blanche. Elle m’a renouvellé ſes excuſes. Alors, prenant un ton de grandeur, je l’ai traitée de lâche et ſortant une poignée de verges de deſſous mon habit, je l’ai obligée de ſe trouſſer et l’ai étrillée d’une belle maniere. Il y paroîtra plus de quinze jours. Enſuite je ſuis allé conter mon exploit à diverſes de mes connoiſſances et maintenant, pendant qu’on me coëffe, je m’empreſſe d’en faire part à ma chere amie. J’irai ce ſoir à la redoute chinoiſe pour en repandre la nouvelle. Je veux que la premiere fois qu’Urbain y paroîtra on l’appelle le cul fouetté. Je gage qu’en liſant cette lettre, tu diras : ah ! je reconnais bien mon eſpiégle. Cependant tu ſeras obligée de convenir que j’avois raiſon. Adieu, ma chere amie, ſi tu as jamais quelque diſpute avec une femme, ſuis mon exemple.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Mercredi 28 Août 1782.


Qu’il me tarde, chere amie, que le Comte ſoit de retour ! Les jours ſont pour moi des années. Je crains toujours que quelqu’un ne me le raviſſe. Ah ! que je voudrois déjà lui appartenir et être ſa maîtreſſe déclarée !

J’étois hier d’un petit ſouper bourgeois chez un de mes voiſins, où je me ſuis bien amuſée. Chaque convive (nous étions douze à table) pétilla d’eſprit au deſſert. Après avoir chanté chacun la ſienne, le fils de la maiſon, âgé de 16 à 17 ans, nous propoſa des énigmes à deviner. Entre celles ſur leſquelles on s’excerça long-tems ſans en attraper le ſens, en voici une qui m’a paru jolie et dont je te dirai le mot à ma premiere lettre. Tâche de le deviner.

De Thémire innocente encore
Je tourmente les quinze ans ;
Souvent je devance l’aurore
De la raiſon et des ſens.
J’excite une aimable tempête,
En cherchant à voir le jour ;
Dans ma priſon rien ne m’arrête,
J’ai pour eole l’amour.
Pour remplir un tendre meſſage
Je ſais tromper les jaloux,
Et quelquefois, à la plus ſage,
J’ai ſervi de billet doux.

Je vais ce ſoir chez Audinot pour promener mon ennui et voir ſi je trouverai quelqu’un qui me faſſe ſupporter l’abſence du Comte. Comme nos arrangemens ne ſont pas encore faits, il ne peut pas exiger que je lui ſois fidelle. Adieu. Porte-toi toujours bien.

Lettre de Mademoiſelle Julie,
Ce Jeudi 29 Aout 1782.


IL n’y avoit perſonne chez Audinot ; j’ai été aux Variétés, où Volanges attire tout Paris. La ſalle étoit pleine. Mais une jolie femme trouve toujours place. Un jeune homme m’a fort honnêtement offert la ſienne, je l’ai acceptée en le remerciant de mon mieux, ce qui a lié une converſation entre nous. De là ce diable de Dragon[16] eſt venu nous étourdir en criant des rafraîchiſſemens. Le jeune homme m’a forcé de prendre des glaces ; comme il fait très-chaud, j’acceptai. Quand le ſpectacle a fini il m’a donné la main et m’a reconduite. Arrivée à ma porte, il m’a dit qu’il eſpéroit que je voudrois bien lui permettre de me faire ſa cour une autrefois, qu’il avoit des affaires importantes qui l’empêchoient de reſter, et auſſitôt il m’a quittée. Je n’en ai pas été fâchée, car je craignois de me trouver tête à tête avec lui. Il eſt bien fait et d’une jolie figure. Je crois qu’il lui eût été facile de m’amener à ſes fins, mon cœur plaidoit déjà très-haut en ſa faveur et m’avoit à moitié vaincue. Adieu, ma chere amie. A propos, j’oubliois de te dire le mot de l’énigme que je t’ai envoyée c’eſt Soupir.

Lettre de Mademoiſelle Roſimont.
Paris ce 30 Aouſt 1782.


Jeudi dernier, ma chere amie, je rencontrai chez Nicolet un Baron allemand qui convint de me donner quatre louis pour ſouper et coucher avec moi. Nous étions au ſecond ſervice lorſque Victoire vint me dire qu’on demandoit à me parler dans mon antichambre. C’étoit D*** garde-du-corps, qui s’étoit échappé de Verſailles pour venir paſſer la nuit dans mes bras, je lui repréſentai que c’eſt impoſſible, il ne voulut entendre à rien. Il me dit qu’il va congédier mon Baron ; mais, lui répliquai-je, ce ne ſont pas tous des Witerspach[17], je le ſuplie en grâce d’être ſage qu’il va me faire une affaire. Rien ne peut le mettre à la raiſon. Je ne ſavois comment me tirer d’embarras, lorſque j’imaginois cet expédient auquel il ſe prêta. Lui ayant recommandé de bien faire boire le baron, je lui préſentai D*** comme un de mes parens qui m’apportoit des nouvelles de ma famille, et il ſoupa avec nous. Quand le Baron fut bien gris je le fis mettre dans mon lit et j’ordonnai qu’on mit des draps blancs dans celui de ma femme-de-chambre où je fus me coucher avec D*** ; étant convenu avec elle, qu’elle ſe mettroit à côté de l’allemand. A ſix heures du matin D*** me quitta. Alors ma femme-de-chambre et moi primes chacune la place que nous devions occuper.

Dès que je fus près du Baron, je m’endormis profondément. D*** m’avoit beaucoup fatiguée, je ne m’éveillai que vers les onze heures. Juge de ma ſurpriſe, je me trouvai ſeule.

Le Baron honteux de s’être griſé s’étoit levé à la ſourdine et étoit parti. Qui auroit pu s’imaginer cela ? il ne tient pas de ſa nation, c’eſt une vétille pour eux. Je me ſouviendrai long-tems de cette aventure. Adieu, ma chere amie, tu vois que comme je te l’ai promis, je ne t’écris jamais ſans te mander quelques faits dignes de ton eſpiégle.

P. S. J’oubliais de te parler d’un homme baroquement conſtruit, avec qui j’ai fait une partie chez la préſidente. Il n’avoit qu’une couille. En as-tu jamais vu de cette eſpece ? pour moi c’eſt la premiere fois. Il m’a dit, que ça l’avoit empêché d’être prêtre. C’eſt extraordinaire. Obligés au célibat, leurs couilles ſont un meuble inutile. Mon avis ſeroit qu’on les châtrât tous, je gage que le nombre diminueroit bien vîte. Adieu.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Samedi 31 Aouſt 1782.


Ce matin vers les onze heures, je venais à peine de me lever, qu’on vint me dire qu’un jeune homme demandoit à me parler. Auſſitôt je le fais paſſer dans mon ſalon. Figure-toi que c’étoit mon galant des Variétés. Je le reçus avec dignité, en lui diſant, que je ne m’attendois pas à ſa viſite ; que j’avois les plus grands ménagemens à prendre. Lui auſſitôt me fit les plus grandes excuſes, me diſant, que je devois pardonner ſa démarche, puiſque l’amour en étoit cauſe, étant choſe impoſſible de me voir ſans m’aimer. Je me radoucis, et tu ſais que mon cœur plaidoit pour lui. Je lui offris de s’aſſeoir ; il l’accepta. A peine pouvoit-il parler ; il n’étoit occupé qu’à me conſidérer en ſoupirant. Après une viſite d’une heure, dont le langage, muet en grande partie, me fit le plus grand plaiſir, il prit congé de moi, en me demandant ſi je ne trouverois pas mauvais qu’il revînt après-demain ſur les quatre heures, Je lui dis que je ne ſavois ſi j’y ſerois ; mais que ſi j’y étois, je le recevrois avec plaiſir. J’ai envie, ma chere amie, de lui accrocher vingt-cinq louis ; c’eſt un jeune homme très-riche, et puis je ne ſerois pas fâchée de paſſer le caprice que j’ai pour lui. Je vais rêver au moyen que j’emploierai ; je te le manderai, s’il réuſſit. Je t’embraſſe. Adieu.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Mardi 3 Septembre 1782.


Ah ! ma chere amie, mon ſtratagême a réuſſi à merveille. Mon homme eſt arrivé à quatre heures préciſes : ma femme de chambre lui a dit que je ne pouvois voir perſonne, ayant bien du chagrin. Eh ! de quoi ? s’eſt-il écrié. Monſieur, je ne puis vous le dire, a-t elle répondu : ſi ma maîtreſſe le ſavoit, elle me gronderoit. Dites-le moi, je vous prie ; elle n’en ſaura rien, a-t-il répliqué ; et en même tems il lui a donné des marques de ſa généroſité. Monſieur, vous avez bien de la bonté, je vous remercie. Comment voulez vous qu’on vous réſiſte, vous êtes ſi honnête, cela eſt impoſſible ; mais au moins vous me promettez bien le ſecret. Je vous le jure ; mais dites vîte. Allons, je vais vous le dire, mais penſez à ce que vous m’avez promis. Voici le fait. Il y a quelque tems que Madame a fait une lettre de change, on eſt venu la lui préſenter pour payer ; elle n’a pas le ſou, et on menace de la faire arrêter : par malheur, la perſonne qui l’entretient eſt abſente pour quelques jours ; et en outre, ma maîtreſſe ſeroit déſeſpérée qu’elle le fût, cela pourroit les brouiller enſemble. Enfin Madame eſt bien embarraſſée.

N’eſt-ce que cela ? a-t-il dit, c’eſt facile à arranger. La ſomme eſt-elle bien forte ? De vingt-cinq louis, Monſieur. Eh bien, je vais les donner à votre maîtreſſe. Gardez vous en bien, Monſieur, elle ne voudroit jamais les accepter ; mais ſi vous voulez me remettre l’argent et repaſſer dans une heure, j’irai chercher la lettre de change, et vous pourrez la lui remettre. Vous avez raiſon. Soit. Tenez, dit-il, voilà l’argent, je reviens auſſitôt. Quant à ma femme de chambre, elle n’a eu beſoin que de monter à ſa chambre, et prendre dans un tiroir de ſa commode une lettre de change factice pour la lui préſenter. Une heure après, notre homme eſt revenu. J’étois ſur mon ſopha, appuyée ſur une de mes mains, et j’affectois une triſteſſe profonde. On me l’annonce. Je ne ſais comment vous me ſurprenez ainſi, lui dis-je avec un ton d’humeur ; j’avois ordonné que ma porte fût fermée pour tout le monde. J’ai la migraine et ſuis d’une triſteſſe incroyable. Dans cette poſition déſagréable, je ne puis ſurement que vous ennuyer beaucoup. Votre procédé n’eſt pas raiſonnable, Mademoiſelle, répondit-il galamment. S’enfermer parce que l’on eſt triſte ! C’eſt le moment où le cœur a le plus beſoin de distraction et des conſolations de l’amitié. Je ne me flatte pas de pouvoir vous rendre toute votre gaieté, mais, tenez, liſez ces vers, me dit-il en me donnant la prétendue lettre de change acquitée ; cette lecture pourra faire quelque diverſion à vos chagrins. Dans l’excès de ma joie, je feignis de m’évanouir. Il me prit auſſitôt dans ſes bras et m’accabla de careſſes. Ayant eu l’air de revenir à moi, je lui lançai un coup d’œil tendre ! C’en fut aſſez ; il ſe précipite auſſitôt dans mes bras et devint mon vainqueur. Hélas ! je te l’avouerai, ma défaite m’étoit chere, et je la ſouhaitois autant qu’il la déſiroit. Nous paſſâmes l’après-dîner dans des délices continuelles. De là nous fûmes ſouper au Bois de Boulogne, où nous reſtâmes juſqu’à deux heures du matin, que nous revinmes paſſer le reſte de la nuit comme nous avions fait l’après-dîné. Il y a trois heures qu’il m’a quittée. Je ſuis ſi contente de lui que je ferai mon poſſible pour le conſerver quoique j’aie le Comte. Je lui en ai parlé, cela ne l’a pas réfroidi ; il m’a promis, au contraire, d’être très-circonſpect et de ſe conduire avec moi de maniere à ne me cauſer aucun déſagrément. Je me ſouviendrai long-tems du jour où j’en ai fait la connoiſſance. Qu’il eſt aimable ! Si tu le voyois, ma chere Eulalie, tu en ſerois folle. Adieu ; je ſuis la plus heureuſe des femmes.

Lettre de Mademoiſelle Roſalie.
Paris, ce 8 Septembre 1782.


Voici, ma chere amie, une lettre que j’ai reçue de ma tribade :

Ce 6 au matin.

„ J’ai trouvé, ma chere Roſalie, une perſonne charmante, et on ne ſauroit plus aimable, qui a les hommes en horreur et qui aime les femmes autant que moi. Je pars avec elle pour ma terre. Là, dans la retraite, nous mènerons une vie champêtre et délicieuſe. Nous ne ſerons entourées que de femmes. Je ne veux pas qu’aucun homme nous ſerve. Si j’avais un moment de tems, j’irais vous embraſſer et vous donner la petite marque d’amitié que je joins à ma lettre. Je vous ſouhaite autant de bonheur que je vais en avoir ; penſez quelque fois à moi. Je n’oublierai pas l’aimable Roſalie. ”

La marque d’amitié qu’elle m’a envoyée eſt une treſſe de ſes cheveux et un billet de la caiſſe d’eſcompte de vingt-cinq louis. Je ſuis fort aiſe qu’elle ait trouvé ce qu’elle déſiroit. La femme qui va vivre avec elle ſera heureuſe. Admire, comme dans Paris on trouve tout ce qu’on veut. On a bien raiſon de dire : qu’il n’y a qu’un Paris dans le monde. Je finis bien vîte, ma chere amie, j’ai une migraine affreuſe. Au plaiſir d’avoir de tes nouvelles. Adreſſe ta premiere lettre à Felmé, en la chargeant de me l’envoyer tout de ſuite. Je ſuis obligée de déménager pour le prochain terme et n’ayant pas encore loué, je ne peux te mander mon adreſſe.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Dimanche 8 Septembre 1782.


Je devois aller hier à St. Cloud[18], dont c’étoit la fête ; mais il a fait un


tems ſi abominable, qu’il étoit impoſſible de ſortir. Cela a dû faire beaucoup de tort à Griel[19]. J’irai aujourd’hui à l’Opéra, et de là aux Thuileries, où je dois trouver mon amant ſur la terraſſe des Feuillans. Nous devons enſuite ſouper enſemble chez le Bœuf[20] ; car je crains que le Comte que j’attens de moment en moment, ne vienne chez moi et ne nous ſurprenne tête-à-tête. Tu vois que ma maiſon ſe monte. Un amant, un entreteneur, ou Milord pot-au-feu ; il me manque encore un Guerluchon, un Farfadet, et un Qu’importe[21]. Il faut eſpérer que cela ſe trouvera.

Dans ta derniere lettre, tu ne me parles pas du Conſeiller, eſt-ce que tu ſerois brouillée avec lui ? Tu as peur, ſi cela eſt, que je te gronde ; en vérité je le ferois : car un entreteneur Conſeiller eſt un homme à ménager, et qui demande des égards. Adieu. Je te ſouhaite d’être auſſi heureuſe que je la ſuis dans ce moment.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Mercredi 11 Septembre 1782.


Le Comte eſt revenu de la cour ; il eſt plus amoureux que jamais. Il eſt venu paſſer trois heures avec moi ; il me mene aujourd’hui aux françois dans ſa petite loge. Delà il vient ſouper et coucher avec moi ; ainſi tu vois que le voilà maintenant en pied ; demain je dois le mettre au fait de mes affaires, et nous prendrons enſemble un arrangement définitif. J’ai déjà envoyé chercher pluſieurs perſonnes à qui j’ai recommandé de me faire de gros mémoires pour marchandiſes fournies et non payées. Elles y ont conſenti à condition que je prendrois chez elles des marchandiſes pour la ſomme qu’ils recevront. J’ai fabriqué en outre quelques petits billets. Enfin je me ſuis arrangée de maniere que j’aurai au moins quarante-cinq louis devant moi. Cela me fera une reſſource dans le cas où le Comte me quitteroit promptement.

Si mon bonheur préſent dure encore quelque tems, je me trouverai bientôt vraiment embarraſſée de mon bien. Mais, à propos d’embarras, on donne ici depuis quelques jours un nouvel Opéra, nommé l’Embarras des richeſſes, ſur lequel on a fait les couplets ſuivans.

Air : de la Bequille du Pere Barnabas

Embarras d’intérêt.
Embarras des paroles ;
Embarras des ballets,
Embarras dans les rôles.
Enfin, de toute ſorte,
On ne voit qu’embarras ;
Mais allez à la porte,
Vous n’en trouverez pas.

Autre, ſur le même Opéra.

On donne à l’Opéra
L’embarras des richeſſes,
Ce qui apportera,
Je crois, bien peu d’eſpeces.
Cette piece comique
Ne réuſſiſſant pas,
A tort l’auteur lyrique
A fait ſon embarras.

Ce ſujet rebattu
Peut-être auroit pu plaire ;
Mais il auroit fallu
En un acte le faire :
Mais cet auteur ne penſe
Qu’à faire grand fracas,
Eſpérant par la danſe
Se tirer d’embarras.

Je finis, il eſt plus d’une heure, il faut que je me mette à ma toilette. Adieu.

Lettre de Mademoiſelle Victorine.
Paris, ce 16 Septembre 1782.


J’étois ce matin, ma bonne amie, à ma toilette, lorſqu’un Savoyard m’apporta cette lettre :

Madame,

“ Je ſuis la plus malheureuſe de toutes les créatures. Je mange mon pain trempé de mes larmes. Si vous vouliez, vous pourriez faire changer mon ſort. De grace accordez-moi un moment d’entretien. J’ai l’honneur d’être avec le plus profond reſpect,

Madame,
Votre très-humble et
très-obéiſſante ſervante
L’Infortunée Cécile.

Je fis dire au commiſſionnaire qu’il n’avoit qu’à dire à la perſonne qui l’envoyoit de venir à trois heures. Cécile ne manqua pas de ſe rendre à l’heure que je lui avois indiquée. C’eſt une petite fille de quinze ans, jolie comme les amours et porteuſe de deux grands yeux qui promettent beaucoup de plaiſir. Elle m’a conté ſes malheurs. Elle a une belle mere qui ne fait que la battre, et ne lui donne aucune liberté. Elle m’a ſuppliée de lui enſeigner le moyen de pouvoir ſortir de chez ſes parens, je lui ai promis de m’intéreſſer à elle. Elle m’a comblée de remercimens et m’a allurée que, ſi je lui rendois cet important ſervice, elle en ſeroit reconnoiſſante toute ſa vie. J’écrirai demain au Comte de V***, pour lui faire avoir un brévet d’opéra. Je finis, ma bonne amie, de m’entretenir avec toi. Il eſt près de minuit et je vais me coucher, hélas ! malheureuſement ſeule.

Lettre de Mademoiſelle Julie,
Ce Mardi 17 Septembre 1782.


J’ai paſſé quelques jours ſans t’écrire, ayant eu beaucoup d’affaires. Le Comte a payé mes dettes réelles et factices, et a retiré de gage les effets que ma détreſſe m’avoit forcé d’y mettre. Nos conventions ſont faites, il me donne cinquante louis par mois : mais il faut que j’aie un caroſſe de remiſe au mois. Il veut que je change de logement pour le terme prochain, et ſe charge de m’en chercher un aux environs de ſon hôtel. Quel plaiſir pour moi de briller encore une fois, et de pouvoir à mon tour regarder avec dédain quantité d’inſolentes qui inſultoient ſouvent à mon malheur. Cependant, dans notre état, il ne faut pas trop s’enorgueillir. Aujourd’hui dans l’opulence et demain dans la miſere. Mais ne penſons plus à cela ; jouiſſons du moment préſent.

Je ſuis auſſi très-contente de mon amant, il fait ce que je veux. Je pourrai aiſément l’aſſocier au Comte, qui ne vient guere chez moi qu’à des heures réglées.

Le Comte doit me préſenter ce ſoir à quelques-uns de ſes amis et me donner à ſouper avec eux à une petite maiſon qu’il a louée juſqu’au mois de Novembre. Il a même envie que j’y aille demeurer juſqu’à ce que j’aie un logement convenable à mon nouvel état. Mais comme cela me gêneroit, j’ai refuſé ſous le prétexte que je ne puis abandonner ainſi mon logement et mes effets ; il y a conſenti et ne veut, dit-il, me contrarier en rien. Adieu. Puiſſe ton Conſeiller faire de même.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Lundi 23 Septembre 1782.


Le Comte eſt aux petits ſoins avec moi, il m’a apporté ce matin deux charmantes robes d’automne ; mon amant étoit couché avec moi, il n’a eu que le tems de ſauter au bas du lit, de prendre ſes habits ſous ſon bras et de ſe ſauver par la porte de l’alcove dans ma garderobe, où ma femme de chambre a paſſé un moment après et l’a caché dans une grande armoire. La peur que cela m’avoit donnée m’avoit un peu troublée. Le Comte s’en apperçut et m’en demanda la cauſe. Je prétextai auſſitôt un grand mal d’eſtomac, craignant qu’il ne voulût jouir de ſes droits ; car il auroit trouvé les choſes en fort mauvais état, nous en étant beaucoup donné mon amant et moi. Il m’a conſeillé de me lever et de prendre du thé. J’en ai pris quelques taſſes, mais feignant toujours de ne recevoir aucun ſoulagement, il m’a dit avoir chez lui un élixir anglais excellent et qu’il alloit me le chercher. Je l’ai beaucoup remercié en l’aſſurant que je ſouffrois conſidérablement. Sitôt qu’il a été ſorti, j’ai couru délivrer mon amant de ſa priſon ; il s’eſt habillé à la hâte et eſt parti. Quant à moi, j’ai été faire une ample toilette au vinaigre aſtringent. Le calme où j’étois alors avoit remis ma figure. Je dis au Comte à ſon retour que j’étois guérie, mon eſtomac s’étant déchargé de ce qui l’oppreſſoit. Je n’en fus pas quitte pour cela, il exigea que je priſſe de la drogue, je n’ai pu m’y refuſer. Il m’a ordonné la diete juſqu’au ſoir, qu’il viendra ſouper avec moi et me veiller toute la nuit. Adieu.

Lettre de Mademoiſelle Felmé.
Paris, ce 27 Septembre 1782.


J’ai été hier, mon cœur, chez Roſalie, pour lui remettre la lettre que tu m’as envoyée pour elle, je n’ai trouvé que ſa femme de chambre, qui en eſt très inquiete. Il y a trois jours qu’elle eſt ſortie ſeule à dix heures du matin, et depuis ce tems on n’en a nulle nouvelle. Si elle n’eſt pas rentrée aujourd’hui pour midi ; Marianne ira chez le Commiſſaire.

Il y a quelques jours, mon cœur, qu’il eſt arrivé une bonne aventure chez la Lebrun. Monſieur l’évêque de *** habillé en ſéculier étoit venu s’y diſſiper. Il y avoit un inſtant qu’il étoit dans un cabinet avec une Demoiſelle, lorſqu’un homme aſſez brutal voulant auſſi avoir la même fille qui étoit avec Monſeigneur, malgré tout ce qu’on pût lui dire, ſe porta juſqu’à enfoncer la porte du cabinet. A peine les deux hommes ſe furent-ils apperçus, qu’ils s’écrièrent, l’un, c’eſt vous l’Abbé, et l’autre, c’eſt vous Monſeigneur. L’évêque voulant prendre le ton dit à l’Abbé. Je ne croyois pas que vous fuſſiez aſſez libertin… Celui-ci l’interrompant auſſitôt, lui répliqua : tenez, Monſeigneur, trêves de reproches, ni vous ni moi ne ſommes à notre place : arrangeons-nous à l’amiable, gardez votre Demoiſelle, j’en prendrai une autre et faiſons partie quarrée. L’Evêque accepta ce que propoſoit l’Abbé et ils s’amuſerent beaucoup. Envain ils ont demandé le ſecret aux Demoiſelles, qui n’ont rien eu de plus preſſé que de publier l’aventure. Maintenant c’eſt la nouvelle du jour. L’Evêque même à cauſe de l’éclat eſt parti ſur le champ pour ſon diocèſe. Adieu, mon cœur, quand je ſaurai quelque choſe de Roſalie, je te le manderai.

Lettre de Mademoiſelle Julie.
Ce Vendredi 27 Septembre 1782.


Depuis que j’ai un caroſſe à mes ordres, je ne fais que courir. On me voit partout, aux ſpectacles, aux promenades, etc. C’eſt une bien jolie choſe qu’une voiture ; c’eſt le ſuprême bonheur de la vie. Le Comte eſt un bien aimable homme. Voilà une petite piece de vers qu’il m’a montrée. Je la lui ai demandée pour te l’envoyer.

A MADAME P***

Dont on louoit la peau douce et le bon cœur.

Et peau douce et bon cœur, m’a-t-on dit aujourd’hui,
Vous furent donnés en partage,
P***. je voudrois croire à ce double avantage,
Mais croire ſur la foi d’autrui,
Hélas ! me paroît bien peu ſage :
En juge mieux inſtruit, moi, j’aime à prononcer ;
De ma main, ſans la repouſſer,
Souffrez qu’à votre main je touche ;
Entendez, ſans vous courroucer,
Un mot tendre, qui veut s’échapper de ma bouche ;
Et ſoudain je vais dire à tous
Les titres reconnus que vous avez pour plaire,

Quoique j’aimerois mieux, s’il faut être ſincere,
J’aimerois mieux, à vos genoux,
Obtenir le droit de m’en taire,
Et de n’en rien dire qu’à vous.


Le Duc de Fronſac eſt très-malade. Ma foi, s’il mouroit, on ne feroit pas une grande perte ; il a tous les vices de ſon pere ſans en avoir le bon et les agrémens. Adieu. Je ne t’écris qu’un mot, ayant une grande toilette à faire pour me montrer ce ſoir à l’Opéra.

  1. On appelle ainſi les Bonnets, les Rubans, et tout ce qui vient de chez les Marchandes de Modes.
  2. Il eſt d’uſage qu’une demoiſelle à partie ait ſa femme de chambre avec elle. C’eſt elle qui donne l’adreſſe. Il y en a qui en ont de toutes écrites ſur des cartes, de peur qu’on ne l’oublie.
  3. Les demoiſelles en chambre appellent ainſi ceux qui viennent chez elles habituellement une ou deux fois la ſemaine.
  4. Mademoiſelle Arnoult eſt une ancienne actrice de l’opéra, renommée par ſes bons mots. Un jour Mademoiſelle Henelle, ſa camarade, et qui ne ſe laiſſe voir qu’à l’italienne, lui reprochoit de ce qu’elle faiſoit toujours des enfans ; ah ? répondit-elle, une ſouris qui n’a qu’un trou eſt bientôt priſe.
  5. Auberge où l’on fait très-bonne chere. Il ſe paſſe peu de jours qu’il ne s’y faſſe des parties.
  6. Promenade de Paris au bout des Thuileries. Quand les arbres nouvellement plantés ſeront grands, ce ſera la plus belle qu’on puiſſe voir.
  7. La redoute chinoiſe eſt une eſpece de Wauxhall qui eſt ouvert tout le tems de la Foire St. Laurent. On y danſe, on s’y balance, on y joue à la bague, au palet et à différens autres jeux. Il y a un caffé qui repréſente une grotte. On y trouve un reſtaurateur, chez lequel on peut avoir de petites chambres particulieres de deux, quatre et ſix perſonnes, à volonté. Il y a auſſi deux Marchandes de Modes.
  8. Ancien domeſtique de Melle Eulalie.
  9. Son entreteneur.
  10. Toutes les Tribades ont un petit chien, qu’elles ont grand ſoin d’élever à leur affreux manége. Elles appellent cette exercice, mettre la tête dans l’étau.
  11. C’eſt le plus fameux Traiteur du Boulevard, et chez lequel ſe font les plus belles parties. On y trouve toujours des joueuſes de vielles, jeunes et aſſez gentilles, qui viennent chanter pendant le repas des chanſons gaillardes. Elles ſavent auſſi ſe prêter avec complaiſance et rendre, à bon marché, tous les petits ſervices dont un galant homme peut avoir beſoin.
  12. Priſon où on met les gens pour dettes, et ceux arrêtés par ordre de la police.
  13. Horloger rue neuve des petits champs.
  14. Ce ſont des billets payables au porteur, et qu’on peut toucher tous les jours excepté les fêtes et dimanches.
  15. Banquier de Paris, renommé par ſa débauche, ſes goûts biſarres et anti-phyſiques.
  16. Ce garçon cafetier a la voix très-perçante, et a des expreſſions uniques pour ſes bombons, comme : bombons aux ſoupirs étouffés, au retour des amans, etc. etc.
  17. Les filles de Paris depuis que le Baron de Witerspach par acte paſſé par devant Notaire, s’eſt reconnu poltron, elles ne ſe fervent plus d’autre terme pour dire qu’un homme eſt poltron, que de celui ; c’eſt un Witerspach.
  18. C’eſt un bourg, à deux lieues de Paris, ſur la Seine. M. le Duc d’Orléans y a un ſuperbe château ; le parc eſt magnifique, les eaux en ſont belles, et méritent d’être vues ; elles jouent pendant l’été tous les premiers Dimanches du mois. Il y a une ſalle de comédie où on joue l’été. Le jour de St. Cloud il y a foire dans le parc, et les eaux jouent par extraordinaire.
  19. C’eſt le Suiſſe du parc ; il eſt en même-tems traiteur. Il ſe fait chez lui quantité de parties de demoiſelles. La bonne compagnie y va auſſi manger des matelotes ; elles ſont très-renommées. Le jour de St. Cloud il donne un bal et un feu d’artifice, il en coute trente ſols pour y entrer.
  20. Traiteur au petit cours en face du Coliſée, dont la maiſon s’appelle l’Hôtel du bel Air.
  21. Une demoiſelle entretenue ne ſe contente pas de ſon ſeul entreteneur, appellé ordinairement Milord pot-au-feu. Elle a ordinairement un amant en titre, qui ne paye que les chiffons ; un Guerluchon, c’eſt un amant qu’elle paye ; un Farfadet, c’eſt un complaiſant ; et un Qu’importe eſt une perſonne qui vient de tems en tems, qui eſt ſans conſéquence, et paye au beſoin les petites dettes criardes.