Correspondance d’Eulalie/II/04
Voici, ma bonne amie, un petit
conte charmant que m’a dit mon
auteur. Je gage qu’il t’amuſera.
Damon aimoit Zulime à la folie,
Quoiqu’il en fut depuis long-tems l’époux ;
Il n’étoit pas même jaloux,
Quoiqu’elle fut, et coquette, et jolie.
Zulime qui vivoit en dame du bon ton,
Avoit pour le pauvre Damon,
Tout le dégoût qu’un mari ſimple inſpire
A jeune femme de renom,
Qu’une foule d’amans admire.
Quelqu’un plaignoit Damon : c’étoit un ſien ami.
„ Mais c’eſt ma femme qu’il faut plaindre ”,
Répliqua le ſage mari ;
„ Outre l’amour qu’elle doit feindre,
„ N’eſt-ce pas un tourment affreux,
„ De voir l’objet de ſon dégoût extrême ?
„ Mon ſort eſt différent, et je me trouve heureux,
„ De voir toujours une femme que j’aime ”.
Puiſque je me ſuis déterminée à t’envoyer des vers, voici encore un impromptu à une dame prête d’accoucher et qui demandoit à toutes les perſonnes qui étoient chez elle de quel enfant elle accoucheroit.
Vous déſirez ſavoir mon avis à mon tour ;
Ma réponſe eſt aiſée à faire,
Qu’importe que ce ſoit une grâce ou l’amour,
Puiſque Venus en doit être la mere.
Tu ſais, ſans doute, que maintenant on pourra voyager par les airs au moyens des ballons ; cela ſera fort amuſant. Mais je t’avoue que je ne ſuis pas tentée d’être une des premieres à voyager ainſi. Adieu.
Jusqu’actuellement, ma bonne
amie, je ſuis aſſez contente du marquis,
la fortune l’a toujours bien
ſervi et cela m’a valu des gratifications.
Gare ! s’il y a un revers, la
fortune eſt une déeſſe bien changeante
et qui n’accorde pas long-tems ſes
faveurs à la même perſonne.
Cette année eſt malheureuſe pour la comédie italienne ; le charmant et inimitable Carlin vient de mourir, âgé de ſoixante-ſeize ans. Il a fait le plaiſir du public pendant quarante-deux, auſſi en eſt-il bien regretté et cela à juſte titre.
On a fait une chanſon ſur le globe aéroſtatique, car maintenant on ne fait qu’en parler. Il va, ſans doute, prendre la place de Marlbouroug. Voici le ſeul couplet qui ſoit joli.
Tout globe eſt fait pour plaire ;
N’en ſoyez pas ſurpris,
Ce qu’on aime à Cythere,
On l’aime dans Paris ;
Eh ! mais oui-dà,
Comment peut-on trouver du mal à ça ?
Dès que les modes aux globes paroîtront, ſi tu veux, je t’en enverrai. Surement le génie de Mademoiſelle Bertin eſt occupé à chercher quelque choſe digne de continuer à l’illuſtrer. On ne l’appelle plus que le Miniſtre des modes, depuis qu’il y a quelque tems qu’elle répondit à des dames qui demandoient des bonnets nouveaux, qu’elle ne pouvoit leur en donner que d’un mois, ayant arrêté dans ſon dernier travail avec la reine que les bonnets nouveaux ne paroîtroient que dans huit jours. Je vois avec plaiſir l’hiver qui avance à grand pas, c’eſt le tems où j’aurai le plaiſir de te voir.
Madame,
Je ſuis au comble du déſeſpoir, ma
maîtreſſe eſt morte, elle eſt enterrée
d’hier. Qu’elle a ſouffert ! ſi elle a eu
de bons inſtans dans ſa vie, les derniers
ont été bien cruels. Vous devez
bien la regretter, elle a parlé de vous
juſqu’au dernier moment et ſes dernieres
paroles ont été des ordres qu’elle
m’a donnés de vous mander ſa mort
et de vous aſſurer qu’elle vous étoit
attachée. Je mourrois contente, ajouta-t-elle,
ſi elle pouvoit recevoir mon dernier ſoupir.
Les ſouffrances qu’elle éprouvoit
lui ont rendu ſon agonie plus
douce ; elle a vu la mort ſans horreur ;
et en vérité, elle eſt moins à plaindre
que ſi elle avoit vecu. Elle avoit perdu
preſque toutes ſes dents et tous
ſes cheveux. Que ſeroit-elle devenue ?
C’eſt aſſez vous entretenir d’un ſujet
qui ne peut que vous faire frémir.
J’ai l’honneur d’être avec un très-profond reſpect,
et très-obéiſſante
ſervante.
La demoiſelle de Bordeaux, ma
bonne amie, que tu m’as adreſſée a
un petit minois de fantaiſie fait pour
plaire. Je lui ai donné à dîner hier,
je dois demain la mener chez la Briſſeau ;
la Comteſſe étant à toute extrémité.
Mademoiselle Victorine, ma chere
Minette, m’a reçue au mieux ; elle
m’a préſentée à la préſidente, qui hier
m’a fait faire un ſouper avec deux
italiens. Leurs paſſions quoiqu’extraordinaires
n’a cependant rien qui ſoit
contre nature. Il faut ſeulement qu’un
des deux ſe mette à quatre pattes et
que la femme ſe couche ſur ſon dos
pour être baiſée par l’autre. C’eſt un
peu fatiguant.
Je crois que je ferai bien mes affaires dans ce pays-ci. Croyez, chere Minette, que je n’oublierai pas le ſervice que vous m’avez rendu en me donnant des lettres de recommandations. Je voudrois trouver l’occaſion de vous en témoigner ma reconnoiſſance. Mes amitiés à nos connoiſſances.
Nous avons eu, ma bonne amie,
le Marquis et moi vingt altercations.
Depuis quelques jours il ne fait que
perdre et a une humeur inſupportable.
C’eſt un métier de galérienne que
d’être ſa maîtreſſe ; je lui ai ſignifié
que je le quitterois s’il ne changeoit.
Samedi dernier j’ai été aux françois voir le ſéducteur qu’on jouoit pour la premiere fois. Depuis long-tems aucune piece n’a eu un ſuccès auſſi brillant. L’auteur garde l’incognito. Il a tort.
Florival eſt venue me voir il y a trois jours ; elle paroît aſſez contente d’être ici. La préſidente ne laiſſe pas que de l’employer, elle voudroit que cela fut toujours de même. La Comteſſe eſt morte au lit d’honneur ; elle a continué ſon métier juſqu’au dernier moment. Elle ſera difficile à remplacer ; elle étoit une des plus célébres maquerelles qui ait jamais exiſtée. Emule dans ſa jeuneſſe de la Pariſſe elle l’a ſurpaſſée. La préſidente quoique ſa Rivale ne la vaudra jamais ; C’eſt une grande perte pour les paillards. Je me flatte que tu es ſur ton départ.
Je ne puis preſque plus ſupporter les
humeurs du Marquis, et ſi la cour
n’étoit à Fontainebleau, ce qui rend
Paris déſert, je le quitterois ſur le
champ ; mais je patiente ne voulant
pas être ſans avoir d’entreteneur.
La fauſſe couche de la Reine afflige beaucoup, nous ne ſaurions trop avoir de rejetons d’une auſſi bonne race.
Les financiers viennent d’être furieuſement réduits ; ils ne ſeront plus ſi recherchés par nous autres. Il n’y aura plus rien à faire qu’avec les étrangers ; le métier va de mal en pis.
Tu ſais qu’il y a beaucoup de changement dans le miniſtere. Fontainebleau, comme à ſon ordinaire, eſt funeſte aux miniſtres qui ſont en place.
J’ai ſoupé ces jours derniers avec des chaſſeurs ; c’étoit à qui conteroit des faits plus extraordinaires les uns que les autres. Le plus fort qu’on ait dit c’eſt un ſanglier qui péſoit ſept cents livres quoique maigre et n’ayant que la peau ſur les os.
Je finis, le Marquis entre, ſurement il vient de perdre ; il a une figure de déterré. Allons, il faut ſe préparer à une ſcene.
Tu avois oublié, Minette, de me
dire qu’il falloit que je me faſſe
inſcrire chez l’inſpecteur de police.
Il m’a mandée et m’a d’abord voulu
réprimander ; mais ma figure lui ayant
plu il s’eſt radouci et m’a fait paſſer
dans ſon cabinet. Il a fallu céder à
ſes déſirs, afin de m’en faire une
protection. Comme il eſt d’une figure
paſſable, cela n’eſt pas ſi terrible.
Le commiſſaire du quartier m’a auſſi
fait venir chez lui. Ah ! pour le coup
je n’ai pas été ſi ſatisfaite ; c’eſt un
vilain ſquelette qui m’a patinée pendant
une heure et qui m’a fatigué
le bras à le fouetter et le tout pour
décharger quelques goûtes. Si j’avois
oſé je l’aurois envoyé au diable. On
n’a bien raiſon de dire que chaque
métier a ſes charges.
Je ſuis des plus occupées par la préſidente à qui la mort de la Gourdan a valu des pratiques. J’ai fait chez elle ma partie avec un homme qui a un goût baroque ; il faut ſe frotter le derriere de gelée de groſeilles ; il s’aſſeoit entre vos jambes, et tandis qu’il vous le lèche on eſt obligé de le branler en chocolatiere.
On eſt beaucoup moins vigoureux dans ce pays qu’à Bordeaux ; il faut continuellement employer les verges et le martinet même avec des jeunes gens. Je plains les fouteuſes ; elles doivent peu trouver à ſe contenter.
J’eſpere, Minette, que dans ſix ſemaines au plus tard je te verrai et je pourrai t’aſſurer de vive voix de mon attachement pour la vie.
La reine, ma bonne amie, eſt
totalement remiſe de ſa fauſſe couche ;
elle eſt partie hier de Fontainebleau
pour Brunoi. Le roi ne partira que
le 24 et ſe rendra en droiture à
Verſailles. Je ſuis enchantée que le
voyage finiſſe. Je ne puis plus vivre
avec le Marquis, c’eſt un enfer. Ah !
ma bonne amie, ne prend jamais de
joueur pour entreteneur. Pour moi
je jure de n’en plus avoir.
Les financiers ont tant fait qu’on leur a rendu ce qu’on leur avoit ôté. Sûrement ils auront financé pour obtenir ce nouvel arrêt. Depuis quelque tems la finance et le militaire ont éprouvé beaucoup de variations.
J’ai fait remettre à la diligence de Bordeaux les commiſſions que tu m’avois demandées. J’y ai joint quelques petites nouveautés qui t’amuſeront. Qu’il me tarde que ton américain ait finit ſes affaires pour venir à Paris avec toi. Je ſuis bien impatiente de te voir.
IL ne faut jurer de rien, mon cœur,
la vanité m’a ſéduite et demain je
devient Madame la conſeillere ; ce
qui m’a cependant le plus déterminée ;
c’eſt que mon futur eſt un ſot et que
j’en ferai ce que je voudrai. Par ce
mariage je ſuis parente à tout ce qu’il
y a de mieux dans la ville ; j’aurai
même l’honneur d’être couſine iſſue
de germaine de Monſieur le lieutenant
général. Ma noce doit être brillante,
le repas ſe fera à l’hôtel de ville où
il y aura bal le ſoir. Je ris en moi-même
de mon changement d’état. Je
voudrois que tu fuſſes demain des convives,
ſurement tu t’amuſerois. Pour
moi je me prépare à bien m’ennuier.
Je ſerai aſſomée de politeſſe et il faudra
être embraſſée depuis le matin
juſqu’au ſoir ; mais ce qui me divertit
d’avance, c’eſt de penſer aux ſimagrées
que je ſerai obligée de faire quand
mon mari voudra me prendre ma
prétendue virginité. J’ai par précaution
fait ample uſage de vinaigre aſtringent
et de cerfeuil, cela a bien réuſſi.
Je n’ai pas pu ce matin y introduire
le bout de mon petit doigt, ainſi tout
paroîtra en regle, d’autant mieux
que je me ſuis apperçue que celui
qui en jouira eſt bien membré. Ce
n’eſt pas que je lui aie permis la
moindre privauté. Mais c’eſt à travers
ſa culotte, lorſque ma préſence le
mettoit en feu. Je ceſſe de m’entretenir
avec toi ; il faut que j’aille me
faire fiancer. Je te manderai un de ces
jours les détails de la noce, mais
ſur-tout de la nuit.
On a bien raiſon de dire, Minette,
que les goûts des hommes dans leurs
jouiſſances ſont encore plus fantaſques
que les caprices de leur caractere.
L’amour en gémit, mais il excuſe tout.
Une fois adonnée au culte du libertinage
il faut ſavoir s’y prêter. Je me
vois journellement obligée d’apprendre
de nouvelles fantaiſies. Je croyois
ſavoir le métier, mais je vois bien
que je ne ſuis qu’une apprantie. Hier
il m’a fallu rendre un lavement dans
la bouche d’un vieux dégoûtant,
avant-hier piſſer dans celle d’un autre
et lui frotter tout le corps de mon
urine. Il y a quelques jours que j’avois
mes affaires. J’ai été obligée d’en faire
des tourtines comme ſi c’étoit de
confiture pour pouvoir faire bander
un jeune homme. Ah ! quels goûts,
je n’y comprends rien. Je me borne
à plaindre les pauvres malheureux
qui ont beſoin de pareilles reſſources.
Comme je ſais que tu aimes les vers et que je veux un peu t’amuſer après t’avoir parlé de choſes dégoûtantes, voici des Stances à Thémire que j’ai eues d’un abbé.
J’aime le doux murmure
D’un paiſible ruiſſeau ;
Le tapis de verdure
Ou ſerpente ſon eau
Plaît à l’ame attendrie :
Là, ſur un lit de fleurs
Regne la réverie
Sur les ſenſibles cœurs.
L’accent tendre et léger.
Et l’écho qui répète
La chanſon du berger :
J’aime la tourterelle ;
Son amoureuſe ardeur,
Et ſa flamme fidelle,
Intéreſſent mon cœur.
Les attraits renaiſſans,
Sa riante parure,
Ses boſquets verdoyans,
Que l’art en vain imite ;
Ses bois majeſtueux,
Où le ſilence habite,
Souvent ſont les heureux.
Quand je vois ta beauté,
Lorſque ton doux ſourire
Promet la volupté,
Dans mon ardeur nouvelle,
Je n’aime les boſquets,
Que quand ta voix m’appelle
Aux amoureux ſecrets.
Adieu, la préſidente m’envoye chercher et me marque de me rendre chez elle tout de ſuite.
Enfin, ma bonne amie, pouſſée
à bout par le Marquis ; et ſortant, il
y a quelques jours de me faire une
ſcene affreuſe. Voici la lettre que je
lui ai écrite.
„ L’amour, Monſieur le Marquis, eſt incompatible avec le jeu ; l’un rend doux, poli, et l’autre furieux. Depuis que nous vivons enſemble j’ai ſouffert des humeurs et des caprices que jamais aucun homme ne m’a fait éprouver. Nos caracteres ſimpatiſſent peu. Je ne veux avoir que des jours agréables et ſans orages. Le mois eſt fini, trouvez bon que nous nous ſéparions. Je n’en aurai pas moins pour vous toute l’eſtime et l’amitié que vous méritez, et je ne ceſſerai de faire des vœux pour que la fortune vous ſoit favorable. J’ai l’honneur d’être avec un ſincere attachement, Monſieur le Marquis, votre très-humble et très-obéiſſante ſervante ”.
„ Vous avez raiſon, Mademoiſelle, il faut nous ſéparer puiſque nos caracteres ne ſimpatiſſent point. Vous auriez dû plier le vôtre au mien. Je trouverai aiſément une perſonne qui ſaura mieux que vous apprécier mes bontés et en être reconnoiſſante. Je vous ſouhaite tout le bonheur dont vous êtes digne ”.
Depuis je n’ai plus entendu parler du Marquis. Avant peu j’eſpere apprendre ton départ de Bordeaux.
Depuis que je ne t’ai écrit,
Minette, il m’eſt arrivé une bonne
aubaine. Un vieux que j’ai eu chez
la préſidente m’a priſe en amitié, il
me meuble un petit appartement aux
ſeules conditions que je le flagellerai
tant qu’il voudra et lui accorderai la maniote
pendant quatre mois. Je pourrai
malgré cela faire ce que bon me
ſemblera. Je ne ſerai occupée avec lui
qu’environ trois fois la ſemaine, et
cela deux heures au plus ; cela me
fait grand plaiſir. Je payois fort chere
mon appartement garni.
Je te prie, Minette, de m’envoyer les effets que je t’ai laiſſés. Me voilà décidée à me fixer à Paris. Je vois bien qu’il n’y a qu’ici où l’on peut faire fortune par le libertinage. Bordeaux n’eſt rien en comparaiſon et on y eſt ſi gênée depuis que le Maréchal de Richelieu n’y commande plus ; qu’en vérité c’eſt inſuportable. On doit cependant bien ſavoir que nous ſommes néceſſaires et que ſans nous les honnêtes femmes (s’il y en a) ne ſeroient point en fureté. J’atends de tes nouvelles.
Il m’a été impoſſible, mon cœur,
de te raconter plutôt l’hiſtoire de ma
noce ; depuis j’ai toujours été en
gala et occupée à faire des viſites. Ah !
que tout cela m’ennuie ; mais m’en
voilà quitte.
Le 23 du mois dernier tous les parents de mon mari et les miens vinrent me prendre à dix heures du matin ; j’étois ſupperbement parée : pour mon époux, il avoit ſa robe noire. Tout le monde s’étoit endimanché et il y avoit des habits qui ſurement étoient du tems du roi Guillemaux et n’avoient vu le jour depuis trente ans. Nous nous rendimes à onze heures à l’égliſe. A notre arrivée toutes les cloches furent en branle et l’organiſte écorcha une ſimphonie. Après la célébration du mariage, nous fumes à l’hôtel de ville ou on nous reçut avec une décharge de boîtes. Rendus dans une ſalle voiſine de celle du feſtin, il m’a fallu abandonner mon viſage à tout le monde. Jamais je n’ai tant été baiſée. Après ces complimens on a été dîner. Dès la ſoupe on a porté ma ſanté et cela a continué juſqu’au deſſert qu’on a chanté des chanſons à ma gloire et que de nouveau j’ai été baiſée. A ſix heures on s’eſt mis à danſer juſqu’à dix qu’on a ſervi un ambigu, après lequel à minuit on m’a reconduite chez moi en triomphe en me faiſant mille plaiſanteries ſur la nuit. J’étois excédée de ma journée et je me felicitois de la voir finie.
Mon couché a duré une heure, j’ai fait la mygaurée. A peine ai-je été dans le lit que mon mari eſt venu me joindre. Je me ſuis cachée la tête dans le lit et lui ai dit que je ne la ſortirois que quand il auroit éteint les lumieres. Il m’a fort ſollicitée pour les laiſſer allumées ; mais je n’ai eu de ceſſe qu’il ne les ait éteintes. Alors il a commencé à me careſſer ſans ceſſe. Je réſiſtois autant que je le devois, mais cependant je laiſſé prendre la place, ce fut pour lors que je gémis, que je criai, que je me remuai. Enfin je fis ſi bien qu’il fut plus de trois heures à pouvoir me le mettre ; et s’il n’avoit pas eu la vigueur qu’il a, il n’en ſeroit ſurement pas venu à bout ce jour-là. La ſageſſe que j’avois eue depuis mon départ de Paris fut cauſe que j’éprouvai beaucoup de plaiſir et que je fus obligée de me tenir à quatre pour ne pas m’abandonner à mes ſens, de crainte qu’il ne me trouve trop formée.
Le matin, j’entendis mon mari ſe réveiller et je fis ſemblant de dormir. Il leva légerement la couverture et ſe mit à examiner mes charmes. Les voyant inondés de ſang il ſe mit à s’écrier : ah ! ma femme était pucelle ; que je ſuis heureux : et auſſitôt il me couvrit de baiſers. Peu s’en fallut que je me mîſſe à partir d’un grand éclat de rire. Mais je feignis de me réveiller en ſurſaut et je jetai un grand cris, comme ſurpriſe de voir un homme couché avec moi. Il me ſauta au cou et m’accabla de careſſes ; peut-être cela auroit-il eu des ſuites, ſi l’on n’étoit entré dans notre chambre.
Tu vois, mon cœur, que tout a été au mieux ; mon mari vante à tout inſtant ma vertu et publie ma virginité. Il faudra abſolument, quand tu ſeras de retour à Paris, que tu viennes voir Madame la conſeillere qui t’aime toujours de même que lorſqu’elle étoit Felmé.
Puisque tu dois partir, ma bonne
amie, du 20 au 25 de ce mois pour
venir ici. Cette lettre ſera la derniere
que je t’écrirai. Il eſt impoſſible de
t’exprimer la joie que je retiens d’imaginer
que je vais te revoir et brillante.
Le tems va me paroître bien
long juſqu’à ton arrivée.
Je t’ai mandé notre réparation avec le Marquis. Hé bien ! maintenant j’ai un eſpagnol. Je veux tâcher de lui accrocher le plus de quadruples que je pourrai. Avec le tems j’eſpere que j’aurai eu des entreteneurs de toutes les nations de l’Europe. Mon eſpagnol tient bien de la ſienne, il eſt très jaloux et très-haut ; je crains qu’il ne prenne ombrage de mon petit auteur, cela me feroit de la peine d’être obligée de ne pas le voir ſi ſouvent. Adieu, ma bonne amie, qu’il me tarde de t’embraſſer.
Je ne devois plus t’écrire, ma bonne
amie ; mais je ne puis attendre que
tu ſois ici pour te conter ce qui m’eſt
arrivé hier. J’étois encore dans mon
lit lorſque mon eſpagnol entra. Après
m’avoir fait beaucoup d’amitiés : „ je
vous aime (me dit-il) et il n’y a
point d’amour ſans jalouſie. Auſſi
je ſuis jaloux de vous ; femme et
françaiſe ne pouvant être continuellement
avec vous, puis-je conter
ſur votre fidélité. Souffrez que
je m’en aſſure en mettant vos charmes
en fureté ”. Et en même-tems
il ſortit de ſa poche une ceinture de virginité
qu’il voulut me mettre. „ Ah !
me ſuis écriée auſſitôt, jamais je
ne le ſouffrirai. Croyez vous qu’on
ne peut être fidelle ſans cela ”.
Mon eſpagnol m’a tant ſuppliée de
lui accorder cette tranquillité qu’il
m’a promis de payer vingt-cinq louis
par mois, que j’ai cédé à ſes déſirs.
Après avoir grillé l’antre de la volupté
il eſt parti.
Il y avoit à peine un quart d’heure que l’eſpagnol étoit ſorti de chez moi, qu’eſt arrivé mon jeune auteur. Je n’ai pu m’empêcher d’éclater de rire, penſant à la ſurpriſe qu’il auroit en voyant l’état dans lequel étoit mon minon. Ma gaieté lui fit croire que je voulois plaiſanter et il ſe mit en devoir de le faire ; mais ſe trouvant empêché il en examina la cauſe et partit auſſitôt d’un grand éclat de rire. „ N’eſt-ce que cela, (dit-il) ſi tu veux, ma chere amie, cela va bientôt ceſſer, et en dépit du jaloux nous en jouirons tout à notre aiſe ” J’acceptai alors, il me fit pendre par les mains à la porte et m’allonger le plus poſſible. Auſſitôt la ceinture tomba à terre, nous nous en ſommes donné pendant plus de deux heures, il ſembloit que j’avois plus de plaiſir qu’à l’ordinaire, à cauſe que je trompois l’eſpagnol malgré ſa précaution inutile. Quand nous eûmes fini nos débats, je me rependis à la porte et mon jeune homme remonta la ceinture juſqu’à ſa place. Il n’y paroiſſoit nullement. Je t’avoue que je ſuis enchantée de ſavoir un moyen pour tromper cet excès de jalouſie. Si jamais on te mettoit une ceinture de virginité, penſe à l’aventure de ta chere amie.