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Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0596

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 4p. 289-290).

596. À ERNEST FEYDEAU.
Mon bon,

J’ai déjà lu deux cents pages du Daniel. J’aurai fini la lecture complète ce soir. J’en pense beaucoup de bien. Mais je suis révolté très souvent par les redites et les négligences de style qui sont nombreuses. Quel sauvage tu fais ! à côté de choses superbes tu me fourres des vulgarités impardonnables. La première partie m’a charmé, sans restriction et toute la moitié de la deuxième (il y a fatigue dans la troisième). Je ne te pardonne pas les dialogues calmes ; ton docteur m’embête et embêtera. C’est elle seulement qui est à re-travailler. Mais c’est à serrer, crois-moi. J’ai été d’autant plus irrité des fautes que j’avais été empoigné par les beautés.

Je vois très bien tes intentions, mais tu me permettras dans ma critique d’avoir toujours en vue l’intention générale, l’effet d’ensemble à produire et non telle petite intention particulière et locale qui souvent y nuit, comprends-tu ? Tout ce qui est essentiellement du livre est irréprochable, caractère, paysages, etc. Mais c’est quand tu veux faire le monsieur que tu me déplais.

Puis-je faire des notes au crayon sur les marges ? Tu en serais quitte pour les faire couper, lorsque tu donneras ton manuscrit à l’imprimerie. Réponds-moi là-dessus et ne te presse pas pour la fin. À quoi bon ? Songe que c’est ton second livre ; mon vieux, et que l’on te souhaite, généreusement, un four. Or il faut que ce soit un volcan. C’est facile si tu veux t’en donner la peine.

La IVe partie est superbe, superbe ! Comme ça se relève.

Tu es décidément un monsieur sans la moindre intelligence, c’est à croire que deux bonshommes ont travaillé à ce roman.

Je le répète, je suis enthousiasmé de la IVe partie. Le grand dialogue de Daniel et de Louise, magnifique. L’épisode de la fermière m’a fait froid dans le dos. Et mon indignation ne fait que se renforcer pour les choses plates et vulgaires. Je commence demain mon travail, j’espère te renvoyer le manuscrit à la fin de la semaine.

Adieu, je t’embrasse très fort.