Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0842

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Louis Conard (Volume 5p. 206-207).

842. À SA NIÈCE CAROLINE.
Paris, vendredi, midi, 16 mars 1866.

Pauvre loulou ! tu m’as l’air de t’ennuyer bien fort dans ta noble patrie. C’est, quant à moi, l’invariable effet qu’elle me produit depuis mes plus tendres années. L’aspect de Rouen a quelque chose de mastoc qui vous écrase ! Convenons-en ! Mais, en revanche, les habitants sont très gentils, on ne peut plus bienveillants et démesurément spirituels. Je te conseille de te précipiter dans les Beaux-Arts et de reprendre Montaigne. Ça te consolera.

J’ai présentement un clou à la joue droite, un autre sur la rotule du genou gauche et un troisième au milieu de la cuisse droite, lequel est gros comme un petit œuf de poule. Je ne puis, non seulement marcher, mais me tenir debout, et je suis enharnaché de bandes et enfoui sous des cataplasmes. Cela va me tenir ainsi cinq à six jours, au moins. Je vais en profiter pour ne pas sortir et travailler. Je suis privé dimanche prochain d’entendre une comédie du divin Feuillet chez la Princesse.

Je ne sais encore si c’est demain ou de demain en huit que je verrai Monseigneur.

Je ne vois pas d’autres choses à narrer, mon Caro, si ce n’est que je regrette tes visites, bien qu’elles fussent rares et courtes, et je t’embrasse ainsi que ton époux.

Ton vieux ganachon d’oncle.

P — S. — Si tu t’ennuies trop, en faisant beaucoup de bassesses tu pourrais arriver à te faire inviter chez X*** !!!

Ou bien, va un peu à la campagne. Rien n’est charmant comme la Famille à la Campagne.

La Famille et la Campagne.
Horrid, horrid, most horrid !!
Shakespeare.