Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0843

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Louis Conard (Volume 5p. 207-208).

843. À SA NIÈCE CAROLINE.
Paris, jeudi, midi, 29 mars 1866.
Mon pauvre Bibi,

Ta grand’mère m’a écrit que tu étais pâlie, maigrie et fatiguée. C’est le résultat d’un hiver trop échevelé et de la vie brûlante de Paris. Tâche de te reposer et de reprendre ta bonne mine. Quant à moi, voilà quinze jours que je suis dans l’impossibilité de marcher et même de me tenir debout, ce qui joint à mes trois semaines fait que, depuis deux mois, j’en ai passé plus d’un chez moi. Telles sont mes folichonneries dans la capitale. J’ai voulu, dimanche, aller dîner chez Mme Husson et m’en suis très mal trouvé. Aujourd’hui, pour la première fois, je n’ai plus de cataplasmes ; j’en profite pour me purger, si l’on peut s’exprimer rainsi. Je profite de mes arrêts forcés pour travailler et, quand je reviendrai à Croisset, au milieu de mai, j’aurai probablement fini le premier chapitre de ma seconde partie. Le deuxième et le troisième chapitre me demanderont plus d’un an ! C’est pire que les clous, cela !

Monseigneur est parti hier matin pour s’embêter dans sa famille pendant les vacances de Pâques !

Je ne pense pas que Spirite[1] t’amuse. Dis-moi ce que tu en trouves. Écris-moi une lettre littéraire comme pour « la Divine » ; ça flattera ma vanité. Son auteur (l’auteur de Spirite) va bientôt marier sa fille, ce qui ne l’amuse pas du tout. Je serai probablement témoin du mariage. Ce sont des histoires à la fois comiques et lamentables.

Recommences-tu à faire de la musique ?

As-tu repris ce brave Montaigne ?

Je devais demain dîner avec Grimaux. La chose me sera impossible. Je n’ai pas été lundi à Magny, ni hier chez la Princesse. Ma seule distraction consiste à regarder de ma table les voitures sur le boulevard. On vient me voir et j’ai d’ailleurs mes dimanches.

Vous ne me donnez jamais de nouvelles de mon ami Fortin.

Adieu, pauvre loulou. Embrasse pour moi ta grand’mère et ton époux. Deux gros baisers de nourrice sur tes bonnes joues.

Ton vieil oncle qui t’aime.


  1. Spirite, de Th. Gautier.