Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0925

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Louis Conard (Volume 5p. 315-316).

925. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Croisset, jeudi 22 [juillet 1867].

Si Votre Altesse n’a pas avancé son séjour aux bains de mer, j’espère me présenter chez elle dans une quinzaine environ. Car au commencement du mois prochain je mènerai ma mère à Paris afin de lui montrer l’Exposition.

J’aurais très bien accepté vos deux billets pour la cérémonie. C’eût été une occasion légitime de vous voir ; or vous savez, Princesse, que ces occasions-là je ne les rate pas.

Ce que vous me dites de Sainte-Beuve est peut-être vrai. Il a peut-être dépassé la mesure (à un certain point de vue, qui n’est pas le mien d’ailleurs). Mais ses adversaires lui avaient donné l’exemple, et puis il est si difficile de rester dans les limites ! On est lâche en deçà, téméraire au delà ! Que faire ?

Je ne comprends goutte à l’histoire de l’École normale. La mort de Maximilien[1] m’a fait horreur ! Quelle abomination ! et quelle triste chose que l’espèce humaine !

C’est pour ne pas songer aux crimes et aux sottises de ce monde et pour n’en pas souffrir que je me réfugie dans l’art, à corps perdu. Triste consolation ! à défaut d’autres, cependant…

Que dites-vous de Ponsard qui a trouvé moyen, avec son pantalon[2], d’être ridicule jusque dans la mort ! Il n’y a que les poètes tragiques pour atteindre à ces effets ! La gent de lettres doit se remuer beaucoup maintenant pour avoir son fauteuil. « À l’Académie ! quelle douceur ! » comme me disait un jour Camille Doucet. Il y a, selon moi, de meilleures ambitions, des choses plus tentantes ! Mais quand on dit cela, on vous répond par la fable du Renard et des raisins.

Aux trente-neuf visites qu’il faut faire dans Paris pour briguer la verdurette, je préfère celle que je ferai prochainement à Saint-Gratien pour vous baiser les deux mains, sans cesse, et vous assurer que je suis du fond du cœur, tout a vous.

G. Flaubert.

  1. L’Empereur du Mexique, fusillé à Queretaro, le 19 juin 1867.
  2. Après la cérémonie religieuse, le cercueil de Ponsard fut transporté dans un petit jardin attenant à l’église, où furent prononcé les discours. Un employé des pompes funèbres, à cheval sur le mur de l’enclos, passait à un de ses collègues, pour les étendre sur le cercueil, l’habit de l’académicien défunt et son pantalon, après les avoir secoués avec ostentation.