Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0966

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Louis Conard (Volume 5p. 370-371).

966. À GEORGE SAND.
[Paris, fin mars ou avril 1868].

Enfin, enfin, on a donc de vos nouvelles, chère maître, et de bonnes, ce qui est doublement agréable.

Je compte m’en retourner vers ma maison des champs avec Mme Sand, et ma mère l’espère aussi. Qu’en dites-vous ? Car enfin, dans tout ça on ne se voit pas, nom d’une balle !

Quant à mes déplacements, à moi, ce n’est pas l’envie de m’y livrer qui me manque. Mais je serais perdu si je bougeais d’ici la fin de mon roman. Votre ami est un bonhomme en cire ; tout s’imprime dessus, s’y incruste, y entre. Revenu de chez vous, je ne songerais plus qu’à vous, et aux vôtres, à votre maison, à vos paysages, aux mines des gens que j’aurais rencontrés, etc. Il me faut de grands efforts pour me recueillir ; à chaque moment je déborde. Voilà pourquoi, chère bon maître adorée, je me prive d’aller m’asseoir et rêver tout haut dans votre logis. Mais dans l’été ou l’automne de 1869 vous verrez quel joli voyageur de commerce je fais, une fois lâché au grand air. Je suis abject, je vous en préviens.

En fait de nouvelles, il y a du re-calme depuis que l’incident Kervéguen est mort de sa belle mort. Était-ce farce ! et bête !

Sainte-Beuve prépare un discours sur la loi de la presse. Il va mieux, décidément. J’ai dîné mardi avec Renan. Il a été merveilleux d’esprit et d’éloquence, et artiste ! comme jamais je ne l’avais vu.

Avez-vous lu son nouveau volume ? Sa préface fait du bruit.

Mon pauvre Théo m’inquiète. Je ne le trouve pas raide.