Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0967

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Louis Conard (Volume 5p. 371-372).

967. À SA NIÈCE CAROLINE.
Paris, mardi matin [mai 1868].
Mon Loulou,

Je te suppose rétablie de ton indisposition, car une lettre que je reçois ce matin de ta grand’mère ne m’en parle pas. Tu vas donc pouvoir embellir de ta présence « nos dernières fêtes ». Je te félicite cependant de préférer la peinture au cotillon.

J’ai vu hier au soir Monseigneur (nous avons dîné ensemble chez Magny) et je lui ai fait des excuses, car le pauvre garçon était resté navré de la façon dont je l’avais traité. « Monseigneur est si bon ! » N’avais-je pas eu la mine du grand vicaire qui secoue son évêque ! Il paraît que toi ou ta grand’mère vous avez raconté la scène aux Achille, car Mme Achille l’a redite à Bouilhet lui-même. Bref, j’ai eu des remords et lui ai demandé pardon, car tu sais que je n’aime pas à affliger ceux que j’aime. Bon nègre, au fond.

Jane Robinet m’a envoyé deux billets pour son concert, avec une lettre très bien troussée où elle me prie d’y venir. Mais, franchement, je suis si indigné contre moi-même de sortir le soir trop souvent, que je balance un peu à perdre encore cinq à six heures de travail. C’est pour lundi prochain. J’ai vu hier Mme Sand qui m’a demandé de vos nouvelles à tous. Elle est de plus en plus aimable.

Dernière nouvelle : on a vidé cette nuit les lieux de mon domicile, et messieurs les vidangeurs ont fait tant de bruit que je n’ai pu fermer l’œil. Dans l’espèce de cauchemar qu’ils m’ont donné, j’ai rêvé : l’Empereur et ma nièce !  ! Toutes les sommités !

Adieu, pauvre loulou.

Ton vieux ganachon.