Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1039

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Louis Conard (Volume 6p. 45-46).

1039. À SAINTE-BEUVE.
Vendredi matin. [23 juillet 1869.]

Merci de votre bonne lettre, mon cher maître. Je suis broyé, et la fatigue physique domine tout.

Mon pauvre Bouilhet est mort en philosophe et sans l’assistance d’aucun ecclésiastique. Sa fin a été hâté par ses sœurs qui sont venues lui faire des scènes religieuses et qui voulaient s’emparer du mobilier. Je vous donnerai plus tard des détails si vous y tenez.

Quant à moi, qui conduisais le deuil, j’ai fait bonne figure jusqu’aux discours, exclusivement. J’aime la littérature plus que personne ; mais je veux qu’on me la serve à part. J’ai passé par de jolis moments depuis lundi matin ! N’en parlons plus.

Quant à ce brave Monselet, que mon pauvre Bouilhet aimait beaucoup, je ne demanderais pas mieux que de lui être utile. Mais on nommera à cette place de bibliothécaire ou une « brute de la localité », ou un jeune paléographe de Paris.

Mon frère était le camarade de collège de Verdrel, le maire qui a nommé Bouilhet. Ledit Verdrel est mort et non remplacé. La nomination en question va donc dépendre du corps municipal. Je crois que l’archevêché s’agite.

Bouilhet avait eu du mal à être nommé. On lui avait fait promettre qu’il habiterait Rouen toute l’année. C’était une condition.

J’aimerais mieux voir à la Bibliothèque notre ami Monselet que tout autre. Mais je crois qu’il n’a aucune chance. Voilà.

Je ne sais pas, entre nous, si Frédéric Baudry n’a pas envie de cette place. (Dans ce cas-là, vous comprenez, je ne puis rien faire pour Monselet. Sinon, tout ce qu’il voudra.)

Baudry s’était mis sur les rangs, puis s’était retiré, Monselet se présentant.

Je n’en puis plus de mal de tête, car je suis surchargé d’affaires.

Je vous embrasse.

Soignez-vous bien. Qu’il en reste encore un peu sur la terre, de ceux qui aiment le Beau.

Hein ! les pauvres amants du style, comme ils s’en vont !