Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1122

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Louis Conard (Volume 6p. 146-147).

1122. À EDMOND DE GONCOURT.
[Croisset.] Nuit de lundi [début septembre 1870].
Mon cher Edmond,

Si je ne vous ai pas écrit depuis longtemps, c’est que je vous croyais d’abord en Champagne, puis je ne sais où, depuis la guerre.

Quel renfoncement, hein ? Mais nous allons nous relever, il me semble ?

Je ne fais rien du tout. J’attends des nouvelles et je me ronge, je me dévore d’impatience. Ce qui m’exaspère, c’est la stupidité des autorités locales !

Mes pauvres parents de Nogent nous sont arrivés ici, et mon toit abrite maintenant seize personnes.

Je me suis engagé comme infirmier à l’Hôtel-Dieu de Rouen, en attendant que j’aille défendre Lutèce, si on en fait le siège (ce que je ne crois pas). J’ai une envie, un prurit de me battre. Est-ce le sang de mes aïeux, les Natchez, qui reparaît ? Non !… c’est l’em… de l’existence qui éclate. Ah ! bienheureux ceux que nous pleurons, mon pauvre ami !

Dès que tout sera fini, il faudra que vous veniez chez moi. Il me semble que nous avons bien des choses à nous dire. Et puis, je suis si seul ! Et vous, donc !

Si vous le pouvez, écrivez-moi et donnez-moi des nouvelles, de vous et du reste.

Je vous embrasse bien fort.