Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1161
Il y a quinze jours je comptais être maintenant à Paris, mais « nos frères » en ont disposé autrement.
Je suis parti de Dieppe pour Bruxelles, croyant ne pas revoir les casques à pointe, car je devais retrouver ma famille dans la nouvelle Athènes, qui me semble descendre au-dessous du Dahomey ; mais j’ai su à Bruxelles que Paris était inhabitable. Ma mère et ma nièce sont revenues de Rouen à Dieppe ; j’y suis depuis avant-hier et samedi prochain je serai à Croisset, où je me résigne à rentrer. Vous seriez donc bien aimable, chère Madame, de m’y adresser un petit mot pour me dire ce que vous devenez. La tâche du général[2] est lourde. Sera-t-il obéi ? Là est tout le problème pour le moment. Car l’Internationale ne fait que commencer et elle réussira, pas comme elle l’espère ni comme le redoutent les bourgeois ; mais l’avenir (et quel avenir !) est de ce côté. À moins qu’une forte réaction cléricale et monarchique ne triomphe. Ce qui est également possible.
Ces misérables-là déplacent la haine ! On ne pense plus aux Prussiens. Encore un peu, et on va les aimer ! Aucune honte ne nous manquera.
Comme je suis las, comme je voudrais m’en aller vivre dans un endroit où je n’entendrais plus parler de rien !
Adieu, chère Madame, je n’ose vous dire à bientôt.