Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1293

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Louis Conard (Volume 6p. 372-373).

1293. À GEORGE SAND.
[Croisset, fin avril-premiers jours de mai 1872].

Quelle bonne nouvelle, chère maître ! Dans un mois et même avant un mois je vous verrai enfin !

Arrangez-vous pour n’être pas trop pressée à Paris, afin que nous ayons le temps de causer. Ce qui serait bien gentil, ce serait de revenir ici avec moi passer quelques jours. Nous serions plus tranquilles que là-bas ; « ma pauvre vieille » vous aimait beaucoup. Il me serait doux de vous voir chez elle, quand il y a encore peu de temps qu’elle en est partie.

Je me suis remis à travailler, car l’existence n’est tolérable que si l’on oublie sa misérable personne.

Je serai longtemps avant de savoir ce que j’aurai pour vivre. Car toute la fortune qui nous revient est en biens-fonds, et pour faire le partage il va falloir vendre tout.

Quoi qu’il advienne, je garderai mon appartement de Croisset. Ce sera mon refuge, et peut-être même mon unique habitation. Paris ne m’attire plus guère. Dans quelque temps, je n’y aurai plus d’amis. L’éternel humain (y compris l’éternel féminin) m’amuse de moins en moins.

Savez-vous que mon pauvre Théo est très malade ? Il se meurt d’ennui et de misère ! Personne ne parle plus sa langue ! Nous sommes ainsi quelques fossiles qui subsistons, égarés dans un monde nouveau.