Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1744

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Louis Conard (Volume 8p. 131-132).

1744. À ÉMILE ZOLA.
Croisset, mardi 6 août 1878.
Mon cher Ami,

La nommée Suzanne Lagier me supplie de vous écrire pour la recommander à Votre Excellence.

Elle meurt d’envie de jouer Gervaise dans l’Assommoir et prétend qu’elle vaudra cent fois mieux que la chanteuse Judic, ce qui est possible après tout.

Tout ce que je vous dirais ne servant à rien, je m’arrête. C’est votre affaire. Voilà ma commission faite. Mais, avant de prendre un parti, réfléchissez bien. Ladite Lagier a du talent ; quant à sa corpulence, elle prétend avoir maigri.

Maintenant, mon bon, comment allez-vous ? Et d’abord où logez-vous ? J’ignore votre adresse à la campagne. Êtes-vous content de Nana ? Le Bien Public ayant disparu, où faites-vous vos feuilletons dramatiques ? Je vis dans le désert et ne sais absolument rien de ce qui se passe.

J’ai écrit cet été un chapitre, et j’en prépare un autre qui sera fait, je l’espère, au jour de l’an prochain.

Pour le quart d’heure, je suis plongé dans les théories politiques. Mon bouquin me semble de plus en plus difficile. Sera-t-il seulement lisible ?

Voici deux vers pondus récemment par un académicien de Rouen, et que je trouve splendides :

On a beau se défendre, on est toujours flatté
De se voir le premier dans sa localité.

Aucune nouvelle de Tourgueneff. Je le crois en Russie. Quant aux autres amis, j’ignore ce qu’ils font et où ils se trouvent ; le jeune Guy m’a l’air de s’embêter prodigieusement.

Vous seriez bien gentil de me donner de vos nouvelles.