Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1745

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Louis Conard (Volume 8p. 132-134).

1745. À ÉMILE ZOLA.
Croisset près Rouen, 15 août [1878].

Vous êtes gentil de m’avoir écrit une si bonne lettre, mon cher ami, et je vous en remercie.

J’ignorais la décoration de Fabre, lequel est un de nos mastocs littéraires les mieux réussis. Quant à mon camarade Bardoux, c’est un khon (orthographe chinoise). Je me promets de le lui dire. Ce procédé envers vous est une crasse qu’il me fait à moi, car je lui ai demandé la croix pour vous cet hiver, et il m’avait promis formellement que vous l’auriez au mois de juin. Jusqu’à présent, il ne m’a rien accordé de toutes les requêtes semblables que je lui ai faites ; tant il est vrai que le Pouvoir abrutit les hommes. Car enfin quel intérêt a-t-il de décorer Fabre ? L’hypothèse touchant Hébrard me paraît juste. Mais non ! J’aime mieux croire que Fabre est décoré uniquement parce qu’il est médiocre. Notre Bayard a refusé la croix d’officier pour Renan. En revanche, Dumesnil (directeur du personnel à l’Instruction publique) est nommé commandeur ! Tout cela est idiot.

La semaine prochaine je me remets à écrire ; mais pour le quart d’heure je me sens éreinté par mes études sur la Politique. Jamais on n’a été plus bête qu’en 48 ! Cette époque est féconde ; mais on ne peut pas tout dire, hélas !

« Cent personnages » dans votre roman[1] ! Vous m’effrayez !

J’ai envoyé au sieur Guy la page qui concernait Lagier. Qu’elle s’arrange comme elle l’entendra.

N’êtes-vous pas profondément réjoui par l’histoire de la Vve Crémieux ? Quelle « gente vieille », et quels jeunes gens ! Quelle jolie société ! Voilà de ces histoires qui font du bien, qui rafraîchissent. Il y a des figures d’arrière-plan exquises : le Bavarois, etc., et l’orpi ! [?] Est-ce assez romantique !

J’ai reçu ce matin une lettre de M. Francolin, un des directeurs de la Réforme (pour me demander un ms., mais je n’en ai pas). Le connaissez-vous ? J’irai le voir au mois de 7bre. À cette époque-là, peut-être vous ferai-je une visite.

D’ici là, mon cher ami, bonne pioche et bonne santé. Mes meilleurs souvenirs à Mme Zola.

Et tout à vous.


  1. Nana.