Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1809

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Louis Conard (Volume 8p. 209-210).

1809. À MADAME AUGUSTE SABATIER.
[Croisset] dimanche [février 1879].

Ça ! c’est gentil ! « ma demi-nièce ». Vous ne pouviez rien imaginer qui me fût plus agréable. Pourquoi même pas trois quarts de nièce ?

Votre aimable lettre a fait se mouiller les paupières de votre « oncle Gustave », et d’ailleurs elle confirme chez moi une théorie esthético-morale : le cœur est inséparable de l’esprit ; ceux qui ont distingué l’un de l’autre n’avaient ni l’un ni l’autre.

Vous avez tort de croire que les détails concernant votre enfant ne m’intéressent pas. J’adore les enfants, et étais né pour être un excellent papa. Mais le sort et la littérature en ont décidé autrement !… C’est une des mélancolies de ma vieillesse que de n’avoir pas un petit être à aimer et à caresser. Bécotez bien le vôtre à mon intention.

Ma guibole se consolide, mais je boiterai pendant longtemps. Il y a eu dans l’articulation des désordres très graves. Quant à la fracture du péroné, c’est une bagatelle. Votre mari a raison de m’aimer, car, de mon côté, je l’aime beaucoup ; c’est un brave homme et un lettré, donc quelqu’un de très rare, un oiseau bleu.

Ce billet est stupide et décousu, car je me sens très faible et j’ai la tête vuide. Ce qui ne m’empêche pas de vous baiser sur les deux joues, avunculairement.

Quand vous serez cet été à Quevilly, il faudra s’arranger pour se voir plus souvent et nous taillerons de fières bavettes.