Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1862

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Louis Conard (Volume 8p. 278-279).

1862. À LÉON CLADEL.
Croisset, 26 juin 1879.
Mon cher Ami,

Je suis bien en retard avec vous. Voici mon excuse : j’ai reçu vos Bonshommes au commencement de ce mois-ci que j’ai passé presque tout entier à Paris. Là, j’ai été assailli de courses et d’affaires… J’espérais qu’un hasard vous apprendrait ma présence et je m’attendais à vous voir.

Je voulais vous dire le plaisir que m’a causé votre volume.

Titi Foyssac est une création. C’est travaillé, ciselé, creusé. L’observation, chez vous, n’enlève pas la poésie ! Au contraire elle la fait ressortir. L’enterrement de votre bonhomme est une merveille. J’ai connu des vieux dans ce goût-là. Je ne connais guère de choses plus originales que votre duo.

L’objection que tout le monde vous fait et que je vous fais moi-même : à savoir que Baudelaire n’était pas comme ça, tombe d’elle-même puisque vous ne nommez pas Baudelaire. Ce conte est une étude philosophique dont je ne vois l’analogie nulle part. Votre personnage principal crève les yeux, tant il a le relief et la puissance. J’aime moins Mère Blanche, qui me paraît moins neuve.

Je vous reprocherai, çà et là, une recherche d’archaïsme dans les mots. Mais vous êtes un rude si écrivain, mon cher ami ! un véritable artiste !

Et je suis, plus que jamais, tout à vous.

Vôtre.