Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1895

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Louis Conard (Volume 8p. 308-309).

1895. À LA COMTESSE DE LOYNES.
Croisset, par Déville (Seine-Inférieure).
Mercredi soir, 8 octobre [1879].

Comme il y a longtemps que je n’ai entendu parler de vous, ma chère belle, ma vraie amie.

Et d’abord comment va l’humeur ? Car la santé ne vient qu’après. Êtes-vous encore au Bois de Boulogne ? Où avez-vous passé votre été ? Ce soir, la pluie tombe. Les beaux jours sont finis !

Les miens ont disparu depuis longtemps ! Savez-vous le seul bon que le sort m’ait donné cette année ? Eh bien, là, franchement, c’est le matin que j’ai été déjeuner au Parc des Princes, au mois de juin d’été (sic). Quels yeux ! comme vous étiez jolie ! et pendant deux heures, je vous ai aimée follement, comme si j’avais eu dix-huit ans. D’ailleurs, je vous aime toujours, adorable créature que vous êtes.

J’ai cherché pour vous (et d’après vos ordres) une maison aux environs. Mais jusqu’à présent impossible de rien trouver qui soit digne de vos grâces.

Quand nous reverrons-nous ? Je vais encore passer tout cet hiver à Croisset, pour finir plus vite mon interminable bouquin. Mais peut-être, à partir du mois d’avril, resterais-je toute l’année à Paris sans désemparer. Alors, on réparera le temps perdu ! On se verra, hein ? pourvu qu’il n’y ait pas chez vous trop de bourgeois, trop de messieurs.

Ma vie est plate et triste. Du côté des affaires, il a pourtant du mieux.

Votre ami est fatigue d’écrire. Mais vous qui ne tirez pas de telles charrettes, envoyez-moi un peu de votre écriture ; vous serez bien gentille.

La Vie Moderne va, dans quelques jours, publier un vieil ours de moi.

Je vous baise bien tendrement les deux mains.

Votre vieux fidèle.