Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1916

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Louis Conard (Volume 8p. 332-333).

1916. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Lundi soir [8 décembre 1879].
Ma chère Princesse,

Je vous écrirais plus souvent si je ne craignais de vous importuner avec ma correspondance, n’ayant à vous narrer rien de neuf, ni de drôle. Ma vie est si plate ! Mais par cet abominable froid, je ne résiste pas au besoin de vous demander « comment allez-vous ? »

J’aime à croire que vous vous privez de sortir, malgré votre amour pour la promenade. Ici, il est impossible de mettre le pied dehors. Pas un bateau sur l’eau, pas un passant sur la route ! C’est comme un tombeau d’une entière blancheur, dans lequel on gîte, enseveli.

Je profite de cette radicale solitude pour avancer mon interminable bouquin. Aussi j’espère dans un mois entamer le dernier chapitre.

Chesneau m’a envoyé un roman[1] de sa façon vous vous trouvez le père Giraud (de l’école de droit) aussi. J’en ai reçu un autre de Charles-Edmond[2]. Je doute que ces deux œuvres vous causent un vif plaisir.

La gent de lettre parisienne m’a l’air entortillée par les « inondés de Murcie ». On m’avait invité à faire partie du Comité. Mais la Fête se passera de ma présence, ne sachant ni danser le boléro, ni pincer de la guitare.

Dans votre dernière lettre, vous vous disiez triste. Il faut se raidir pour supporter la vie, ma chère Princesse ! Moi non plus, je ne suis pas tous les jours folâtre ! Mais je pense à vous ; il m’est comme un rayon de soleil. Car je suis, vous le savez bien,

Votre vieux fidèle et très affectionné.


  1. La Chimère, 1 vol.
  2. Zéphirin Cazavan en Égypte, 1 vol.