Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1953

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Louis Conard (Volume 8p. 388-389).

1953. À GEORGES CHARPENTIER.
[Croisset], dimanche 15 février 1880.]
Mon cher Ami,

Ce n’est pas pour me « livrer à la débauche », mais pour payer mon marchand de bois, que j’attends vos monacos, dont la venue « prochaine » me fut annoncée par Votre Excellence le 27 janvier dernier.

Les millions doivent pleuvoir chez vous par le canal de Nana ! Quel bouquin ! C’est roide et le bon Zola est un homme de génie ; qu’on se le dise !!!

Ce soir, je commence enfin mon dernier chapitre et avec une venette abominable ! Quand sera-t-il terminé ? Peut-être au milieu de l’été seulement ? Et j’en aurai encore pour six mois, avant d’avoir expédié le second volume ! En tout cas, vous me verrez à Paris au mois de mai.

J’attends qu’il y ait des primevères dans mon jardin et un peu plus de soleil pour vous convier avec les amis.

Bergerat a dû vous communiquer mon peu d’enthousiasme pour la manière dont ma pauvre féerie est publiée dans la Vie Moderne. Le numéro d’hier ne change pas mon opinion. Ces petits bonshommes sont imbéciles et leurs physionomies absolument contraires à l’esprit du texte ! Deux pages de texte en tout ! de sorte qu’un seul tableau demandera plusieurs numéros. Et encore, si ce n’était pas coupé par d’autres dessins, n’ayant aucun rapport avec l’œuvre ! Mais il paraît qu’il le faut ! ça dépasse le raisonnement ! C’est mystique ! Je m’incline.

Ô illustration ! invention moderne faite pour déshonorer toute littérature !…

Et mon disciple Guy poursuivi pour immoralité par le tribunal d’Étampes !!! Qu’est-ce que ça veut dire ? Vous savez que le jeune homme se développe prodigieusement ? Boule de Suif est un bijou et il m’a montré, il y a huit jours, une pièce de vers qu’un maître signerait.

Imprimez donc tout de suite son volume, afin qu’il paraisse au printemps. Il crève d’envie d’être publié et il a besoin de l’être.

Envoyez-moi une Nana, de surplus, s. v. p.

Amitiés aux amis, et tout à vous et aux vôtres. Votre.

Je ne vous prie plus de m’envoyer les feuilles qui me concernent, parce que je vois que l’effort est au-dessus (au-dessous) de votre tempérament.

Quel être !