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Correspondance de Nicolas Poussin/1er décembre 1665

La bibliothèque libre.
Texte établi par Charles Jouanny, Jean Schemit (p. 478-483).
213. — Jean Dughet à Chantelou[1].
(Ms. 12347, fol. 259[2].)
premier décembre 1665.

Cette lettre est du Sigr Jouanne beau frère de Lunique peintre deffunt Mr Poussin laqlle accompagne son testament quil auoit donné ordre qui me fust enuoyé pour auoir soing de son exécution. Il mande sa mort.

Requiescat in pace.

Spes in nomen incerti boni[3].

All’ Illmo mio Sigr et Pron
mio Singmo Il Sigr de
Chantelou
In Parigi
Illmo Sigr mio Pron Ossmo

Haveva senza dubbio VS : Illma intesa la nova della morte del famoso Sigr Poussin anzi della[4] Pittura istessa, la quale successe il 19 Nouembre circa il mezzo giorno[5] con sentimenti tanti devoti, che li Sacerdoti che l’assistevano mosti da[l] cordoglio innusitato compiansero anch’essi il fine di cossi Illre ingegno. Copatira VS : Illma se sino al presente sono stato a dargliene parti ; li affari che in tali occasioni succedono ne causarono l’impedimento, tre giorni avanti ch’il detto Sigr Poussin passasse ad altra Vita mi commando ch’io non solo scrivessi a VS : Illma ma che ancora li mandessi la copia del suo testamento acciò de VS : Illma si potesse ricever gratia mandar la al suo herede il quale si nomina Giovanni le Tellier figliolo di Nicolo le Tellier, et di Maria Honorati. Inscuserà duque VS : Illma s’io prendo ardire con tanta libertà eseguire il commando del Defunto, il quale anco seggiunse che io scrivessi à VS : Illma come li chiedeva humilmente perdono, et che se non fosse stato un estremo bisogno non haverebbe aggiunto quest’Ultima obbligatione à tante altre infinite che à VS : Illma disse egli di havere. Gli l’invio incluso in questo Piègo il quale VS Illma si compiacerà [legerlo] aprirlo è leggerlo, ed inviarlo piu presto che sià possibile à VS Illma come spero dalla sua estrema gentilezza accioche più tosto che si potrà possiamo effettuare gl’ordini del Testatore. Supplico anco ardentemente VS. Illma volermi favorire per honore del Defunto fare in qualche modo chez l’herede condescenda alla spesa del Deposito per memoria di tanto grand huomo, et questo sarebbe in circa 50 doppie, et per il resto saro contentissimo aggiungerlo io che saranno 50 altre doppie.

Il sudetto Sigre lasciò che non si dovesse spendere nel suo funerale[6] altro che 20 scudi come lei potrà legger nel suo testamento, ma parende mi poco rispetto al suo gran merito io[mi]hò spesii 60[7] scudi et di questo non occorre parlarne cosa alcuna. VS Illma ricevera dentro il piego, il Testamento, una lettera per VS Illma et un’ altra lettera per l’herede, gli sarà reso in mano propria dà Mons. Lemaire[8] ch ’è il corrispondente di Mons. Retrou esecutore testamentare in mia compagnia, al qual Mons. Lemaire farà gratia VS Illma dar le sue che se farà recapitar in Roma nelle nostre mani. — Per concludere Illmo Sigr mio riverente la suppco inscusar la mia prosuntione laquale mi viene avvalorata da quello al quale in perpetuo haverò obbligationi infinite, et qui resto intanto

DIVS : Illmo mio Sigr Singmo et Devotiss : et Obbligatiss : Ser :
Giovanni DUGHET
di Roma i xbe.
1665
Traduction.
Illme Seigr, mon honoré maître,

V. S. Illme a sans doute appris la nouvelle de la mort du fameux M. Poussin, ou plutôt de la peinture elle-même ; Elle survint le 19 novembre vers midi, avec des sentiments si pieux que les prêtres qui l’assistaient, émus d’une douleur inusitée, pleurèrent eux aussi la fin d’un génie si célèbre. V. S. Illme m’excusera si jusqu’à cette présente, je ne vous en ai pas fait part ; les affaires qui suivent en de telles occasions furent la cause qui m’en empêcha. Trois jours avant que ledit Poussin passât à l’autre vie, il me recommanda, non seulement de vous écrire, mais de vous envoyer copie de son testament, après que V. S. Illme lui fit la grâce de le mander à son héritier, qui se nomme Jean le Tellier, fils de Nicolas le Tellier et de Marie Honorati. V. S. Illme m’excusera donc si j’ose avec une telle liberté exécuter les recommandations du défunt ; il ajouta encore que j’écrivis à V. S. qu’il lui demandait humblement pardon et que s’il n’avait pas été dans une extrême nécessité, il n’aurait pas ajouté cette obligation dernière à tant d’autres, infinies, qu’il m’a dit vous avoir. Je vous envoie le testament dans ce pli. V. S. daignera l’ouvrir, le lire et l’expédier le plus vite qu’il vous sera possible, comme je l’espère de votre extrême amabilité, afin que nous puissions, au plus tôt qu’il se pourra, effectuer les ordres du testateur. Je supplie aussi ardemment V. S. de vouloir bien me faire la grâce pour l’honneur du défunt, de faire en sorte que l’héritier consente à la dépense du tombeau en mémoire d’un si grand homme. Elle se monterait environ à 50 doubles ; quant au reste je me tiendrais pour très heureux de l’ajouter moi-même, c’est à dire 50 autres doubles. Le susdit sieur ordonna de ne pas dépenser dans ses obsèques plus de 20 écus, comme vous pouvez le lire dans son testament, mais estimant que c’était peu de respect pour son grand mérite, j’ai dépensé 60 écus et de tout cela il est inutile de parler. Vous recevrez, Monsieur, dans ce pli, le testament, une lettre pour V. S., et une autre lettre pour l’héritier, qui lui sera rendue en main propre par M. Lemaire, qui est correspondant de M. Retrou, executeur testamentaire avec moi ; à qui M. Lemaire aura l’amabilité de donner celle qu’il fera parvenir à Rome dans nos mains. Pour conclure, trés illustre Sr, je vous supplie humblement d’excuser ma présomption, qui est encouragée par celui à qui j’aurais éternellement d’infinies obligations et pour qui je reste,

De V. S. Illme, le très dévoué et très obligé Serr.

Jean Dughet.
de Rome, 1er Décembre 1665.


  1. La copie de l’Institut, et par suite l’édition de Quatremère, se termine avec la lettre du 28 mars 1665, mais le ms. 12347 contient encore cette lettre de Dughet à Chantelou (1er déc. 1665) et les textes que j’appelle B, D et E du Testament de Poussin.
  2. Au ms. 12347, le folio 261, qui suit cette lettre, en italien, du 1er décembre 1665, porte seulement, d’une main qui n’est pas celle de Chantelou :

    Nicolas poussin, peintre des plus illustres après lantiquité nasquit au bourg dAndely province de Normandie, dune famille noble et peu accomodee.

    est mort à rome Le 19 novembre 1665.

    Le mot Normandie est suivi d’un + qui renvoie en marge, où on lit : Le du mois de juin Lan 1594, le quantième du mois étant laissé en blanc.

  3. Tout ce qui précède, jusqu’à boni, est de la main de Chantelou. — Cette dernière phrase donne à croire à H. Chardon « que les promesses de dévouement de Jean Dughet furent bien éphémères et que M. de Chantelou n’eut pas longtemps à se louer de ses procédés » (Les Fréart).
  4. della, écrit deux fois, puis rayé la seconde.
  5. « Paroisse de San Lorenzo in Lucina. Ce jourd’hui 19 novembre 1665, le sieur Nicolas, fils de Jean Peressin [en marge : autrement dit Poussin], du diocèse d’Andelis, mari de feue Anne-Marie Poussin, romaine, est mort dans la communion chrétienne, à l’âge de 72 ans, dans la maison qu’il habitait, sise Via Paulina, après avoir reçu tous les saints sacrements, avec recommandation de son âme, et a été enseveli dans cette église. »
  6. Un correspondant de l’abbé Nicaise, que l’on suppose être le P. Quesnel, lui écrivait de Rome, le 24 novembre 1665 :

    « Je n’ay rien à vous mander sinon la triste nouvelle de la
  7. Jean Dughet a souligné.
  8. Pierre Le Maire, dit le petit Lemaire ; lié avec Poussin, dont il excellait à copier et à imiter les tableaux (voir mort de l’Apelles de ce siècle, l’illustre Mr Poussin. Il fust enterré vendredy à Saint-Laurent in Lucina, où assistèrent tous les vertueux, architectes, peintres et sculpteurs ; je me suis trouvé parmi eux. Il y avoit deux prélats signalés, Monsieur Salviati et un autre. On me fit l’honneur de me donner un cierge aussi bien qu’à eux ; il a été plus de six semaines languissant et quasi à l’agonie. Je vous enveyeray par le pro- chain courrier l’épitaphe qu’on luy a faicte… » (Bibl. nat., Corresp. de l’abbé Nicaise, suppl. fr. 1958, t. IV, lettre 25).

    Il s’agit ici, à n’en pas douter, de l’épitaphe de Bellori. Félibien, Entretiens, t. II, p. 54). — « … Monsieur Pierre Le Maire, qui lui était très cher autant pour son mérite de peintre que pour la longue amitié qui les unissait » (Bellori).