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Correspondance de Nicolas Poussin/23 janvier 1666

La bibliothèque libre.
Texte établi par Charles Jouanny, Jean Schemit (p. 483-486).
214. Jean Dughet à M. de Chantelou[1].
(Félibien, Entretiens, 4e partie, 1685, p. 312.

Je vous ay dit que l’on avoit toûjours crû qu’il avoit composé un Traité des Lumières et des Ombres. M. de Chantelou en ayant écrit au sieur Jean Dughet son beaufrère quelque temps avant la mort du Poussin, afin d’en estre mieux informé, voicy la réponse que le sieur Dughet lui envoya le 23 janvier 1666.

V. S. Illustrissima mi scrive che M. Cerisiers gli ha detto haver veduto un libro fatto dal Signor Poussin, quale tratta di lumi et ombre, colori et misure. Tutto questo non e vero cosa alcuna ; et e ben vero che mi è restato nelle mani alcuni manoscritti che trattano d’ombre e lumi, ma son sono altrimenti del sudetto Signore ; ma si bene me li fece copiare da un libro originale che tiene il Cardinal Barberino nella sua libraria, et l’autore di tal opera é l Padre Matheo Maestro di Prospettiva del Domenichino. Molli anni sono hora, il sudetto Signor Poussin me ne fece copiare una buona parte prima che noi andassimo in Parigi. Mi fece enco copiare alcune regole di Prospettiva di Vitellione, e da queste cose, hanno creduto molti che Monsieur Poussin l’habbia composte, et acciò V. S. Ill. sia certo di quanto gli scrivo, mi fara favore singolarissimo far sapere all’ Illustrissimo Signore de Chambray che volendo vedere il sudetto libro, bastera che V. S. Illustrissima me lo comandi, che si tosto gli lo inviaro per il corriere a conditione che havendolo veduto me lo rimandi. Si tiene da tutti i Francesi che il sudetto defunto habbia lasciato qualche trattato di pittura. V. S. Illustrissima non ne creda cosa alcuna, è ben vero che io li ho inteso dire piu volte che era in deliberatione di dar principio a qualche discorso in matteria di pittura, ma pero benche da me fosso spesso importunato a dar principio, sempre mi remesse di un tempo a un altro ; ma finalmente sopragiungendoli la morte suanirano tutte quelle cose che si era proposto, etc.

V. S. Illme m’écrit que M. Cerisiers lui a dit avoir vu un livre fait par le Seigr Poussin, lequel traite des lumières et des ombres, des couleurs et des proportions. En tout cela, il n’y a rien de vrai ; il est bien vrai qu’il m’est resté en main certains manuscrits qui traitent des lumières et des ombres, mais ils ne sont pas du susdit Seigr ; il me les fit copier dans un livre original que le Cardinal Barberin tient en sa bibliothèque, et l’auteur de cet ouvrage est le Père Matheo[2], Maître de Perspective du Dominiquin. Il y a beaucoup d’années que le susdit Seigr Poussin m’en fit copier une bonne partie avant que nous n’allions à Paris. Il me fit aussi copier certaines règles de Perspective de Vitellione[3], et beaucoup ont cru que Monsieur Poussin les avait composées, et afin que V. S. Illme soit assurée de tout ce que je lui écris, elle me fera une faveur singulière en faisant savoir à l’Illme Seigr de Chambray que, s’il veut voir le susdit livre, il suffira que V. S. Illme me le commande pour que je le lui envoie aussitôt par le courrier, à condition qu’il me le renverra quand il l’aura vu. Si tous les Français croient que le susdit défunt avait laissé quelque traité de la peinture, que V. S. Illme n’en croie rien ; il est bien vrai que je lui ai entendu dire plusieurs fois qu’il avait délibéré de commencer quelque discours au sujet de la peinture, mais bien qu’il fut souvent importuné par moi de le commencer, toujours il le remit d’un temps à un autre ; mais finalement la mort survînt, et avec elle se sont évanouies toutes ces choses qu’il s’était proposées, etc.

  1. Cette lettre, dont l’original est perdu, est donnée par Félibien, p. 312 de l’éd. de 1685. Elle a été traduite par Jay, p. 395 de l’éd. de 1817, et par Quatremère de Quincy, p. 356 de l’éd. de 1824.
  2. Poussin « s’appliqua à la géométrie, et à la perspective ou optique, tant pour la position selon laquelle les objets vont diminuant que pour la proportion des rayons de lumière et d’ombre. En quelle étude le guidèrent les écrits de Matteo Zoccolini, théatin, qui fut maître du Dominiquin en cette science, et sur ce point le plus excellent peintre de son siècle ; lesquels écrits étaient conservés dans la bibliothèque de M. le Cardinal Francesco Barberini, et d’autres à Saint-Silvestre à Monte Cavallo » (Bellori, op. cit., trad. de M. G. Rémond, p. 10).
  3. Vitellionis perspectivae libri X (Nüremberg, 1533), du mathématicien polonais Vitello ou Vitellus, qui vécut au XIIIe siècle.