Correspondance de Victor Hugo/1840

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(tome 1p. 569-583).
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1840.


À l’Inconnu (Eugène Pelletan)[1].


6 juillet 1840.

Je sais bien qui vous êtes, monsieur, et je vais vous le dire : vous êtes un homme d’imagination, qui êtes un homme de bon sens ; un homme d’esprit, qui êtes un homme de cœur ; un homme de pensée, qui êtes un homme de style. Vous êtes un noble caractère et un beau talent. Comme tous les réfléchisseurs éminents, vous avez deux grands côtés : par un de ces côtés, vous êtes philosophe ; par l’autre, vous êtes poëte. Vous voyez bien, monsieur, que je vous connais. Je ne sais pas votre nom, cela est vrai ; mais je vois clair dans votre intelligence, et j’en suis heureux. Quant à votre nom, il est ou il sera célèbre. Lorsqu’une grande pensée se fait feuilleton et se promène dans la foule, on reconnaît bien vite la Vénus déguisée. Vera incessu patuit Dea. Tôt ou tard, monsieur, vous sortirez de ce nuage que vous faites si lumineux. J’en serai personnellement charmé. Au lieu de vous remercier par une froide lettre, je pourrai vous serrer la main, et l’on dit tant de choses dans un serrement de main.


Madame la Vtesse Victor Hugo,
à la Terrasse, commune de Saint-Prix, par Franconville. (Seine-et-Oise.)
31 juillet 1840.

Je t’envoie bien vite, chère amie, une bien bonne nouvelle. Charles a le premier prix de thème au concours général. Ce matin, M. Jauffret[2] est allé le lui annoncer en pleine classe au collège. Quand il a prononcé le nom de Charles, toute la classe a éclaté, il y a eu trois salves d’applaudissements. Le pauvre enfant est bien heureux. Je l’ai vu deux fois aujourd’hui, ainsi que M. Poirson[3], et M. Jauffret. Tu vas être bien heureuse aussi, n’est-ce pas ? Embrasse pour moi nos chères petites filles. Je t’aime bien, mon Adèle.

V.

Serre pour moi la main de ton bon père. J’ai retourné toute l’armoire sans trouver ton chiffon bleu. À mercredi[4].


À Pradier[5].


Monsieur,

Madame Lanvin m’a fait hier la communication dont vous l’aviez chargée pour moi. Je m’empresse de vous dire que je répondrai cordialement à votre confiance. Vous avez eu raison de penser que, pendant l’instant d’embarras que vous éprouviez, votre Claire[6] pouvait compter sur moi. Je sens pour vous, monsieur, vous le savez, une vive admiration que j’aurai, j’espère, occasion de vous prouver avec éclat. Et puis, Claire est vraiment une charmante enfant, pleine de qualités nobles et distinguées, que vous serez fier un jour d’avoir pour fille comme elle est glorieuse déjà de vous avoir pour père.

Je regrette profondément que l’exiguïté de mes ressources ne me permette de vous offrir qu’une aide momentanée. Heureusement votre Claire a en vous le meilleur des appuis, l’appui naturel qui ne lui fera jamais défaut, dans la riche moisson de fortune et de gloire que votre beau talent a déjà commencé et continuera de recueillir longtemps encore. Elle ne réclame et n’attend qu’une modeste existence. Claire l’aura, n’est-ce pas, monsieur ? Et si sa place est petite dans le monde, elle sera grande dans votre cœur.

Recevez, je vous prie, l’assurance de mes sentiments les plus dévoués.

Victor Hugo[7].
22 août 1840.


À Monsieur Émile Deschanel[8],
élève à l’École Normale.


Saint-Prix-la-Terrasse, 27 août 1840.

Je suis à la campagne, monsieur, dans les jeunes pousses, dans les jeunes plantes, dans les jeunes verdures ; vous êtes au cloître, vous, dans les vieux livres, dans les vieux philosophes, dans les vieux penseurs ; nous sommes dans la poésie tous les deux : moi, je lis Virgile à travers la nature ; vous, vous rêvez la nature à travers Virgile. Ne nous plaignons pas, quand le ciel est bleu, et quand les livres sont ouverts.

Vos vers sont doux, graves et charmants. Ils viennent de votre âme et n’en sont que le rayonnement mystérieux. Un peu de lumière intérieure qui s’échappe au dehors par les fêlures du cœur, voilà en effet la poésie des vrais poëtes.


À Madame Victor Hugo, à Saint-Prix.


Paris, 29 août, midi.

Je vais partir dans un instant, chère amie, et je t’écris comme je te l’ai promis. Je suis triste. Je t’aime bien, crois-le, mon Adèle, et dans ce moment-ci je voudrais que tu pusses voir avec quelle tendresse je pense à ma bien-aimée colonie de St-Prix.

Je m’en vais par Soissons, comme l’an dernier. Je remarque qu’on trouve toujours plus facilement des places pour le Nord que pour le Midi. Dis à mon Charles et à mon Toto que je serai bien content d’eux s’ils travaillent bien. J’ai vu hier M. Prieur qui ira prochainement vous voir tous. Attends-toi aussi à revoir d’un moment à l’autre Mme  Ménessier[9] que j’ai vue et invitée de ta part. J’ai fait également visite à Mme  de Girardin[10] et je l’ai priée de te faire envoyer la Presse à St-Prix. Voici une lettre de Louis[11].

Je t’écrirai de ma prochaine étape. Je vous embrasse tous bien tendrement, ma Didine, ma Dédé, mes chers petits lauréats, tous, et je serre la main de ton bon père.

Aime-moi, mon Adèle, et pense un peu à moi.


À Madame Victor Hugo.


Namur, 2 septembre 1840.

Chère amie, je suis à Namur et je t’envoie les premières pages du Journal de mon voyage. Je te l’enverrai désormais sous cette forme, car de cette façon je pourrai faire dans mes lettres la séparation que tu désires entre ce qui est le voyage et ce qui est nous. Ce sera donc un pur et simple Journal auquel je joindrai toujours une lettre pour toi. Je vais partir pour Liège et de là pour Cologne. Écris-moi et dis à mes chers petits de m’écrire avec l’adresse mise ainsi : M. le Vte Hugo, à Mayence, poste restante. Surtout pas de prénom, je t’ai expliqué pourquoi.

Je songe à vous tous bien tendrement, à toi, mon Adèle. J’espère que vous allez tous bien à Saint-Prix et que ton bon père se trouve toujours à merveille de ce bon air et de cette belle campagne.

Je recommande à mes chers enfants ainsi qu’à toi de m’écrire de bien bonnes et bien longues lettres. J’en ai besoin plus que jamais en voyage. La nature est charmante, mais la famille l’est plus encore.

Ne laisse lire ces feuilles de mon Journal à personne qu’à la famille. Je serai charmé qu’elles t’amusent et t’intéressent un peu, ainsi que ton père. Si par hasard il y a quelqu’un d’étranger à Saint-Prix, même un ami intime, je te recommande bien de ne pas laisser lire ce Journal. Je t’en ai dit autrefois les inconvénients. Adieu, chère amie, je vous embrasse tous cent fois, mes bien-aimés, et je ne pense qu’à vous.


À Madame Victor Hugo.


Aix-la-Chapelle, 5 septembre 1840.

Je pense, chère amie, que tu as dû recevoir hier les douze premières pages de mon Journal. Je t’en envoie aujourd’hui la suite, en désirant beaucoup que cela vous intéresse tous un peu. Je suis à Aix-la-Chapelle et je pars demain pour Cologne. De là, je compte remonter le Rhin le plus haut possible. Dans deux ou trois jours, je t’enverrai mon trajet de Liège à Aix-la-Chapelle. Dis à ma Didine de me suivre sur la carte. J’espère que j’aurai de vos bonnes nouvelles à tous à Mayence. J’en ai déjà bien besoin. Il me semble qu’il y a un siècle que je vous ai quittés et je me rappelle avec un serrement de cœur la figure en larmes de mon pauvre Toto sur le seuil du père Bontemps. Travaillez bien, mes chers enfants. Mon Charlot, songe à ta présence parmi les forts en cinquième. Et toi aussi, mon Toto, tu vas débuter au collège ; il faut le faire dignement. Jouez bien aussi. Écrivez-moi tous de grandes lettres, vous entendez, mes bien-aimés, tous, y compris ma chère petite Dédé. J’espère que son poulet, son pigeon, son chevreau, son chat et son lapin ne l’empêcheront pas d’écrire à son papa. Je lui recommande aussi de bien travailler et d’obéir à sa sœur, qui est grande et sage. Ce qui ne veut pas dire pourtant que Dédé ne soit pas sage. Je compte que sa bonne chère maman est contente d’elle.

Dis à ton père, mon Adèle, que je le regrette à chaque instant dans cette belle excursion où tout l’intéresserait, où je voyage sans livres avec mes seuls souvenirs et où tout ce qu’il a dans la tête aiderait si bien le peu qu’il y a dans la mienne. Et puis je vous regrette aussi tous, et je voudrais vous avoir là près de moi, chères têtes que j’embrasse et que j’aime.

V.

Toutes mes amitiés à Boulanger si tu le vois, à Robelin, à M. Prieur, à tous ceux de nos amis qui t’iront voir[14].


À Madame Victor Hugo.


Saint-Goar, 15 septembre 1840.

Je continue lentement comme tu vois, chère amie, mon voyage du Rhin pris à rebours. Voici la suite de mon Journal. Je tâche de tout voir afin d’avoir une idée complète et définitive de cet admirable pays.

Je n’ai pu me rappeler la date de la mort de Marie de Médicis et de la naissance de Rubens. Ton père doit les savoir. Je le prie de remplir les blancs que j’ai laissés. Si je l’avais avec moi, ce qui me ravirait, je ne laisserais pas de blancs.

J’ai fait pour ma Didinette un dessin d’Andernach, mais il est trop grand pour tenir dans une lettre. Il faudrait le plier. Je le garde dans mon album pour te le donner à Paris, ma Didine chérie. J’ai quitté Andernach et je suis à Saint-Goar, merveilleux endroit dont je t’enverrai un portrait tel quel.

Je voyage lentement parce qu’il le faut, et cependant à regret, car il me tarde d’être à Mayence où tes lettres m’attendent, où toutes vos lettres m’attendent, mon Adèle toujours aimée, mes enfants toujours désirés ; j’espère qu’elles ne m’apporteront rien que de doux et de bon. Je songe sans cesse à vous tous avec attendrissement. Vous me suivez partout, au milieu de mes courses, au milieu de mon travail.

Si tu vois Louis, dis-lui que je lui écrirai un de ces jours. Toi, chère amie, aie soin qu’aucun étranger ne voie ce que je t’envoie.

Adieu, chère amie, adieu, mon Adèle. Pense à moi et aime-moi. À bientôt une autre lettre. Écrivez-moi toujours à Mayence. De Mayence j’écrirai à tous, car j’espère que tous m’auront écrit. Je vous embrasse bien tendrement, ainsi que ton bon père. Un baiser à vous tous, à toi, chère amie, à toi, ma Didine, à toi, mon Charles, à vous, mon Toto et ma

Dédé. Pensez tous à votre père qui vous aime tant[15].
À Madame Victor Hugo.


Bingen, 28 septembre 1840.

Bonjour, mon Adèle chérie, je t’embrasse de toute mon âme. Je suis à Bingen. Après-demain, je serai à Mayence et j’aurai tes lettres, j’aurai toutes vos lettres, mes bien-aimés. Il me semble que je vais vous revoir tous. Je suis joyeux. Écris-moi, écrivez-moi tous désormais à Trèves (Toujours sans prénom). Si le temps me le permet, je compte faire sur la Moselle, rivière admirable et inconnue, le travail que j’achève en ce moment sur le Rhin. — Ainsi à Trèves.

« Le 14 septembre ont passé ici, à Bingen, M. Jules lanin, littérateur, et M. Victor Hugo, id. », ainsi inscrits sur le registre de l’hôtel Victoria, de la main même de M. J. Janin, dont je crois bien avoir reconnu l’écriture. M. Victor Hugo, à ce que m’a dit l’hôte, ne ressemblait pas beaucoup à ses portraits et avait des moustaches. Ces deux messieurs étaient d’humeur joyeuse et accompagnés de trois dames charmantes. Ils ont visité tous les environs. Leur arrivée a mis toute la ville en rumeur. Ils étaient d’ailleurs fort bons princes. L’hôte m’a demandé si je les connaissais. J’ai dit que oui, un peu, mais de nom seulement. Maintenant on montre aux étrangers leurs noms inscrits sur le livre de l’auberge. C’est tout un fracas dans la petite ville romaine de Bingen, qui a pourtant vu Charlemagne. Quant à moi, je voyage profondément inaperçu et inconnu, et je m’en félicite.

Je compte trouver à Mayence de bonnes lettres de tout le monde, et que vous vous portez tous bien, et que les vacances, qui, hélas ! tirent à leur fin, ont été bien employées pour beaucoup de joie et pour un peu de travail. Je recommande à toi, chère amie, et à tous, de bien numéroter et dater vos lettres. Autrement je m’y perds.

Je te prie aussi de faire en sorte qu’on me garde soigneusement, pour que je les retrouve à mon arrivée, toutes mes lettres de Paris et tous les journaux. Je te préviens que j’ai laissé 10 fr. à la portière en avance sur les ports de lettres que j’ai tous acquittés jusqu’au 26 août inclusivement. Tu dois depuis mon départ recevoir la Presse à St-Prix. Conserve-la moi bien, je te prie. Voilà trois semaines que je n’ai vu un journal.

Si tu vois Gué et Brunefer, fais-leur bien toutes mes amitiés et dis-leur qu’avant peu je les reverrai, ainsi que vous tous, car je suis à peu près à la moitié de mon voyage.

Ma Dédé chérie, j’entends en ce moment jaboter dans la chambre voisine de la mienne une petite fille de ton âge qui me fait songer à toi, chère enfant. Sois bien bonne pour ta mère et ta sœur et ton frère et tu seras bien aimée de ton petit père. Ma Didine, mon Charles, mon Toto, je vous écrirai de Mayence, où je trouverai toutes vos lettres. Je vous embrasse tous mille et mille fois, ainsi que votre bonne mère, mes enfants, ma joie, ma vie. Pensez à moi et priez pour moi soir et matin. Je songe à vous sans cesse de mon côté.

Je serre la main de ton excellent père. Je désire que tous mes griffonnages l’intéressent et l’amusent, et je compte qu’il me rectifiera au besoin.

Encore un bon baiser pour toi, chère amie. Tu vois bien que j’en ai la place[16].


À Madame Victor Hugo.


Mayence, 1er octobre 1840.

Je devrais te gronder, chère amie, de ne m’avoir écrit que si peu de lignes ; mais, comme ces lignes étaient douces et tendres, je te pardonne pour cette fois, à condition que tu ne recommenceras plus et que tu m’écriras, à Trèves, au moins une bonne et longue lettre. Tu dois comprendre qu’après une absence qui me semble déjà bien longue, j’ai besoin de savoir un peu ce qui se passe à Paris ou du moins à S-Prix. Ainsi écris-moi sur toutes les choses que tu sais pouvoir m’intéresser, tous les détails que tu auras. Je pense que quelques-uns de nos amis viennent te voir à St-Prix. Redis-moi ce qu’ils te disent. Voici des lettres pour tous les enfants, pour Julie et pour ton bon père. J’ai appris avec bien de la joie que Julie allait tout à fait bien. As-tu reçu Mme  Ménessier ? Lui as-tu écrit au moins ? L’as-tu invitée ? N’oublie pas, chère amie, de faire quelque chose d’amical de ce côté-là, ce sont des amis de dix-sept ans ! Je vais voir Manheim, Heidelberg et Francfort ; puis, si le temps se soutient, je redescendrai le Rhin et je suivrai le cours de la Moselle, comme je te l’ai déjà écrit. Ma prochaine lettre te portera la suite de mon Journal.

Remercie bien ton père pour moi, dis-lui que je compte sur une lettre de lui à Trèves. Sa lettre à Mayence m’a fait un vif plaisir.

Voici des tas de dessins pour les enfants. J’ai tâché de faire à tous part égale. Ils ont tous part égale dans mon cœur.

J’ai visité Bingen, Rudesheim, la fameuse Tour des Rats ; j’explore en ce moment Mayence qui est du plus haut intérêt. Ce voyage aura été de la plus grande utilité pour moi — et, j’espère, pour vous tous. En terminant, chère amie, je te rappelle encore combien je désire avoir à Trèves un bon et long message de toi (au moins un). Dis-moi si ce Journal t’intéresse. Tu sais que, toi et nos enfants bien-aimés, voilà l’objet exclusif de mes travaux dans ce monde. Un jour, je vous laisserai à tous l’édifice quelconque que j’aurai bâti. J’espère que mon nom sera un toit pour mes enfants.

Écris-moi donc, mon Adèle chérie, et bientôt et beaucoup. Je t’aimerai bien.

Ton bon vieux mari.
Victor.

Cette lettre-ci ne compte pas dans la série du Journal[17].


Pour mon Charlot.


Mayence, 1er octobre [1840].

Il faut, mon bon gros Charlot bien-aimé, que tu m’écrives une grande, grande lettre (à Trèves), que tu commenceras de bonne heure et que tu finiras tard. Tu sais combien je t’aime, cher enfant. Il me faut une grande lettre de toi. Tu me feras aussi ton petit journal, tu me diras comment tu as passé ton temps à Saint-Prix pendant les vacances et si, comme je l’espère, tu t’es préparé à la lutte de l’année prochaine au milieu des jeux et des journées de loisir. Je veux, mon Charlot chéri, que tu restes un bon garçon laborieux et un vaillant écolier. À propos, je vous avais donné une version à faire dans une de mes lettres. Ni toi, ni Toto, ne me l’avez envoyée. Maintenant voici les vacances presque finies ; vous n’avez plus que quelques jours de jeu, je vous fais grâce de ma version.

Si tu as lu mes lettres, mon Charlot, tu sais ce que c’est que le Chat et la Souris. Je donne le Chat à Toto, je t’envoie la Souris. Ici, c’est tout le contraire de la nature, la souris est beaucoup plus grosse et beaucoup plus terrible que le chat. Le jour où je l’ai dessinée, le ciel où elle se perdait avait quelque chose de violent et de tumultueux. Tu remarqueras au bas de la montagne voisine le masque du géant avec sa bouche ouverte. Je l’ai dessiné très exactement. Tu as ton géant fort ressemblant. Je fais tout cela avec bonheur, chers enfants, en pensant à vous, afin de vous amuser et de vous rendre heureux. Mes plaisirs d’un instant, comme mes travaux de toute la vie, c’est pour vous. Je ne sais pas trop dans quel état arriveront tous les dessins que je vous envoie. Les encres d’auberge changent de couleur du jour au lendemain avec une fâcheuse facilité.

J’ai beaucoup travaillé pendant ces vacances, mon Charlot ; j’espère que tu en as fait un peu autant de ton côté. J’ai sans cesse pensé à toi, mon gros bien-aimé ; j’espère que de ton côté tu as songé à ton petit papa qui t’aime du fond du cœur comme sa vie et plus que sa vie et qui t’embrasse sur tes deux bonnes joues.

À Toto.


Mayence, 1er octobre 1840.

Voici, mon cher petit Toto, un dessin que j’ai fait pour toi. Je te l’envoie bien vite après avoir lu ta bonne petite lettre si gentille et si douce. Dans un mois, mon ange chéri, tu reverras ton père, et ce sera un aussi beau jour pour lui que pour toi. Quand cette lettre t’arrivera, les vacances seront près de finir. Vous rentrerez en classe, mon Charlot et toi, et ce sera, j’espère, avec un nouveau courage et de nouvelles forces. Toutes mes espérances et tout mon bonheur reposent sur vous, mes bien-aimés. Votre bonne mère m’écrit qu’elle est contente de vous tous. Rendez-la heureuse comme elle le mérite, elle qui vous aime tant, et qui, comme moi, n’a que vous et votre bonheur pour préoccupation dans ce monde.

L’homme vaut ce que l’enfant a valu ; n’oublie jamais cela, mon petit Toto ; sois un laborieux écolier, je te réponds que tu seras un jour ce qu’on appelle un homme, vir. Tous les détails que tu me donnes sur vos jeux et vos études m’ont infiniment intéressé. Écris-moi à Trèves quelques lignes après avoir reçu cette lettre, et donne-moi encore beaucoup de détails sur toi, sur tes frère et sœurs, sur toute la maison. Cela me fait assister à vos plaisirs, à vos amusements, à votre vie, et je me figure que je suis au milieu de vous, mes enfants chéris.

Je suis charmé que tous les bestiaux de ma petite bergère Dédé se portent bien et que vous ayez terminé votre logis de feuilles et de branches. Dis à Dédé qu’elle m’en écrive un peu plus long que la première fois.

Moi, mon Toto, tu vois, si tu lis mes lettres à ta mère, que je travaille et que, même dans mes vacances, je tâche de ne pas perdre mon temps. Je vois de bien beaux pays, j’étudie des choses bien nouvelles et bien curieuses ; mais tout cela ne vaut pas vos caresses et vos embrassements et deux heures passées au milieu de vous à Saint-Prix.

Ainsi, mon Toto bien-aimé, rentre en classe avec courage, travaille bien, écris-moi, satisfais ta mère et tes maîtres et pense que je suis à peine un instant sans songer à toi. Rien de ce que je vois ne me distrait de vous, mes enfants. Tout ce que je fais et tout ce que je suis dans ce monde, je le fais et je le suis pour vous.

Je t’aime, je t’aime profondément, mon petit Toto[19].
À Béranger.


Mayence, 4 octobre 1840.

Je suis à Mayence, dans un pays qui a été français, qui le redeviendra un jour, et qui l’est de cœur et d’âme en attendant qu’il le soit sur la carte par la ligne bleue ou rouge des frontières. Tout à l’heure, j’étais à ma fenêtre, sur le Rhin, j’écoutais vaguement le bruit des moulins à eau amarrés aux vieilles piles disparues du pont de Charlemagne, et je rêvais aux grandes choses que Napoléon a faites ici, lorsque d’une croisée voisine, une voix de femme, une voix charmante, m’a apporté par lambeaux des vers charmants :

J’aime qu’un russe soit russe
Et qu’un anglais soit anglais ;
Si l’on est prussien en Prusse,
En France, soyons français.

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
Mes amis ! mes amis !
Soyons de notre pays !
Qui s’écriait à Pavie :

Tout est perdu fors l’honneur !

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
Consolons par ce mot-là

Ceux que le nombre accabla.

Ces vers de vous, ces nobles vers, entendus de cette façon et dans ce lieu, m’ont remué profondément. Je vous les envoie mutilés comme le vent me les a apportés. Ils m’ont fait venir les larmes aux yeux, et j’ai senti un besoin irrésistible de vous écrire. J’avais le cœur serré dans ce pays où un français ne devrait pas être un étranger, où un soldat blanc et un soldat bleu, c’est-à-dire l’Autriche et la Prusse, montent la garde devant la citadelle défendue en 94 par nos mayençais et agrandie en 1807 par Napoléon. Vos vers m’ont dilaté l’âme. Ce chant d’une femme, c’est la protestation de tout un peuple. J’ai pensé que vous seriez heureux de savoir que les échos du Rhin sont pleins de votre voix et que la ville de Frauenlob chante les chansons de Béranger.

Quant à moi, je ne fais que passer à Mayence, mais j’en emporte une émotion profonde. Je vous la dois et je vous en remercie. Cher grand poëte, je suis à vous du fond du cœur.

Victor Hugo[20].
À Madame Victor Hugo.


Heidelberg, 9 octobre 1840.

Voici encore, chère amie, un gros morceau de mon Journal. J’ai peur d’être forcé de l’interrompre ; voyageant le jour, ou visitant les édifices, ou étudiant dans les bibliothèques, je ne puis écrire que la nuit, j’y passe quelquefois des nuits entières et mes yeux en souffrent. Cependant, comme il me semble que ce journal intéresse ton père et vous amuse tous un peu, je ferai tous mes efforts pour le continuer. C’est d’ailleurs un travail utile, en ce sens qu’une foule de choses locales sont consignées là pour la première fois qui menacent de se perdre et de s’effacer bientôt. Enfin, je tâcherai de faire encore obéir mes yeux, mais pourtant je n’ose pas trop en répondre. Ton bon père trouvera dans cette lettre des détails inédits sur le couronnement des empereurs à Francfort qui lui paraîtront, je crois, curieux.

J’ai calculé que vous aviez dû recevoir mes dernières lettres dimanche dernier. Ce jour-là j’ai bien songé à vous tous, chers bien-aimés. Ceux d’entre vous auxquels leur image n’aura pas plu n’auront qu’à me le dire, je leur en ferai une autre à Paris.

J’espère, chère amie, que tout va toujours bien. Les rumeurs de guerre qui viennent jusqu’ici ne vont pas, je pense, jusqu’à St-Prix.

Tu auras perdu en ce moment mon Charlot et mon Toto. Ces pauvres enfants sont sans doute rentrés chez M. Jauffret. Il faut bien leur dire de ma part, entends-tu, chère amie, que je compte sur leur persistance à bien travailler. Je me mettrai, aussi moi, à travailler à mon retour. Il importe que mon hiver soit productif et fructueux, et j’espère que nous y parviendrons tous les deux, toi par l’économie, moi par le travail.

Dans une vingtaine de jours je vous reverrai tous. Ce sera un beau jour pour moi et pour toi aussi, n’est-ce pas, mon Adèle ?

Si tu as été à Paris à l’occasion du retour des enfants, je compte, chère amie, que tu auras eu bien soin des lettres et des journaux. Si tu as ouvert les lettres et que tu en aies trouvé dans le nombre qui exigeassent une réponse pressée, je te prie d’écrire aux divers signataires que je suis absent en ce moment.

Mon Adèle chérie, ma Didine bien-aimée, songez que je compte trouver plusieurs lettres de vous à Trèves et qu’il me les faut. Et toi aussi, ma chère petite Dédé. Si mon Charlot et mon Toto peuvent m’écrire, nonobstant les classes, ils feront bien plaisir à leur papa. J’espère aussi une lettre de ton bon père dont je serre les deux mains. À bientôt, mes anges. Je

vous embrasse tous mille fois[21].
À Madame Victor Hugo.


Stockach, 19 octobre [1840].

Je t’écris, chère amie, au milieu de la plus magnifique tempête du monde. Je suis dans la Forêt-Noire et je vais voir Schaffhouse pour compléter le Rhin. Je t’envoie ci-inclus le commencement d’une lettre pour Boulanger, dont j’ai oublié l’adresse actuelle. Vous pouvez tous la lire à St-Prix, si bon vous semble ; après quoi, tu mettras ces quelques feuillets sous enveloppe et tu les enverras à Louis.

II pleut sur la Moselle, ce qui m’a fait y renoncer. Je reviendrai à Heidelberg pour voir l’intérieur de la Forêt-Noire et de là je rentrerai directement en France par Forbach. Écris-moi maintenant (et aussitôt cette lettre reçue, je t’en prie, chère amie) quelques bonnes petites pages à Forbach, poste restante (France). J’ai écrit au bureau de poste de Trèves pour qu’on fît revenir là toutes tes lettres. Je les y trouverai en passant.

Dans très peu de jours tu recevras la fin de la lettre à Boulanger. Cela vous fera une espèce de continuation du Journal pour Heidelberg qui est un admirable lieu.

Je vis dans votre pensée à tous et dans l’espérance que tout va bien à St-Prix. Je compte que tu te portes bien et que nos enfants bien-aimés ne te donnent que de la joie.

Je parcours en ce moment les plus beaux pays du monde. Avant peu, peut-être, la guerre dévastera tout cela. Quand je vois une ruine, je la regarde bien. On en fera peut-être une position militaire et dans un an je ne la retrouverais plus. Mes yeux vont toujours un peu. Cependant je les ménage. Il le faut bien, car ils auront à travailler cet hiver.

J’espère que ton bon père est bien portant. Il trouvera dans ma lettre à Boulanger quelques détails curieux sur Heidelberg.

Encore quelques jours, mon Adèle, et je t’embrasserai. Le premier novembre ne se passera pas, j’espère, sans que j’aie ce bonheur. Écris-moi, je t’en prie, une bonne lettre à Forbach ; et donne-moi des nouvelles fraîches de vous tous. Si tu savais comme j’en ai besoin. Adieu, ma bien-aimée. C’est-à-dire, pas adieu, à bientôt. À bientôt.

V.

Embrasse pour moi, quand tu les verras, mon Charlot et mon Toto, mes

deux petits écoliers chéris[22].
Pour ma Didine.


Stockach, 19 octobre.

Je t’écris quelques mots en même temps qu’à ta mère, ma Didine bien-aimée, et je te prie de m’écrire comme elle une bonne petite lettre à Forbach, poste restante. Écris-moi sitôt ce billet reçu.

As-tu lu ce que j’ai écrit sur la cathédrale de Mayence ? Je songeais à toi, mon ange, en visitant cette belle église, et aux récits que je t’en ferais le soir à notre coin du feu de la place Royale. Je t’envoie sous ce pli le papier sur lequel je prenais des notes pendant cette visite. Ce n’est qu’un gribouillis illisible. Mais garde-le toute ta vie pour l’amour de moi. C’est un souvenir que je te donne. La poste va partir, et j’ai à peine le temps de finir cette page. À bientôt, ma Didine bien-aimée. Embrasse ma Dédé pour moi. Dans une douzaine de jours je vous reverrai tous et je vous embrasserai. Quelle joie, cher ange ! Il me semble que je ne vous ai pas vus depuis un an. À bientôt. Pense à ton petit père, ma bien-aimée petite fille, et écris-moi[23].


À Thiers[24].


14 décembre 1840.

Le vrai poëme, c’est celui que vous avez fait, c’est ce magnifique poëme en action qui à cette heure passionne tout Paris et qui demain vivra et marchera, aux yeux de tout un peuple, de l’Arc de l’Étoile aux Invalides[25]. Le mien[26] n’est qu’un des mille détails du vôtre, un complément peut-être inutile, un chant imperceptible dans un coin voilé, un accompagnement obscur de cet ensemble éblouissant. Permettez-moi cependant de vous l’offrir comme à un homme que j’honore et que j’aime. Votre esprit est un de ceux qui séduisent le mien. On sent qu’avant de traverser les grandes affaires vous avez traversé les grandes idées.

Je n’ai pas besoin de vous redire, n’est-ce pas, tout ce qu’il y a dans ma sympathie pour vous de haute estime et de vive admiration.

Victor Hugo.
Paris, 14 décembre 1840[27].


À Chateaubriand.


Décembre 1840.

Après vingt-cinq ans, il ne reste que les grandes choses et les grands hommes. Napoléon et Chateaubriand. Trouvez bon que je dépose ces vers[28] à votre porte. Depuis longtemps vous avez fait une paix généreuse avec l’ombre illustre qui les a inspirés.

Permettez-moi de vous les offrir comme une nouvelle marque de mon ancienne et profonde admiration.

Victor Hugo[29].

  1. Eugène Pelletan avait publié, en signant « l’Inconnu », un article sur les Rayons et les Ombres, dans la Presse du 4 juillet 1840. Eugène Pelletan, venu à Paris pour y faire son droit, l’abandonna pour les lettres, l’histoire et la philosophie. Dès 1837 il publia des articles de critique dans la Nouvelle Minerve, puis entra à la Presse où, sous le pseudonyme de l’Inconnu, il fit paraître un feuilleton de critique sur les livres nouveaux. Ami de Lamartine, il acclama la république de 1848, mais combattit les écoles socialistes.
    Sous l’empire il collabora au XIXe Siècle, il fut élu député de la Seine en 1863, dans les rangs de l’opposition démocratique. À la chute de l’empire, il devint membre du gouvernement de la Défense nationale, puis en février 1871 député des Bouches-du-Rhône. — Sénateur le 30 janvier 1876 et questeur en 1881. Il publia dix-sept volumes d’histoire et de politique.
  2. Directeur de l’institution Jauffret où Charles et François-Victor étaient internes.
  3. Proviseur du collège Charlemagne.
  4. Bibliothèque Nationale. — Cette lettre est écrite sur la page restée libre de la lettre suivante :
    Je veux vous serrer la main aujourd’hui, Monsieur, et me trouver un moment proche de ce cœur de père bondissant de joie et d’orgueil. Il y a dans votre vie bien des instants de plus de gloire, de plus d’enivrement : y en a-t-il eu un seul de plus de bonheur ?
    A. Poirson.
  5. Inédite. — James Pradier, grand prix de sculpture en 1813, fut célèbre dès son retour de Rome. Chaque exposition lui valut un nouveau succès ; on a de lui à Versailles, aux Tuileries, aux Invalides (les Victoires au tombeau de Napoléon), place de la Concorde (Strasbourg et Lille), des statues que l’on admire encore. Victor Hugo prit souvent la défense de Pradier contre Thiers, notamment à propos du couronnement de l’Arc de l’Étoile (Revue de Paris, juillet-août 1834) par deux articles non signés, mais identifiés par une lettre de Victor Hugo au secrétaire de la Revue de Paris.
  6. Claire était la fille de Pradier et de Juliette Drouet ; le sculpteur avait fait demander à Victor Hugo de payer la pension de Claire. Les Contemplations contiennent plusieurs poésies sur Claire Pradier.
  7. Lettre inédite, communiquée par Mlle  Hélène Holzmann, d’après une copie faite par Juliette Drouet.
  8. Émile Deschanel, après de brillantes études, fut professeur de rhétorique dans divers lycées ; il devint, en 1845, maître de conférences à l’École Normale ; mais en 1851, un écrit : Catholicisme et socialisme, provoqua sa destitution. Il combattit alors dans la presse républicaine militante et fut exilé en décembre 1851. Il vécut en Belgique du produit de conférences publiques qui obtinrent un grand succès. Après l’amnistie de 1859 il rentra en France et devint rédacteur au Journal des Débats et au National. Député en 1876 et sénateur en 1881. — Émile Deschanel, dès ses débuts, trouva chez Victor Hugo un appui dans sa carrière de professeur. C’est grâce à lui qu’il revint de Bourges à Paris et fut nommé au lycée Charlemagne. Leurs relations gagnèrent en cordialité pendant l’exil et leur correspondance, dont nous trouvons encore trace en 1869, témoigne d’une longue et inaltérable amitié.
  9. Mme  Ménessier-Nodier, fille de Charles Nodier.
  10. Mme  Émile de Girardin (Delphine Gay), débuta à dix-neuf ans en 1823 dans la Muse Française et publia de nombreuses poésies qui eurent un grand succès ; en 1831 Delphine Gay épousa Émile de Girardin et fit paraître alors plusieurs nouvelles poésies élégiaques ; à la fondation de la Presse en 1836, elle signa, du pseudonyme : Vicomte de Launay, des feuilletons hebdomadaires de critique vive et spirituelle. Elle publia aussi plusieurs romans et, à partir de 1839, des drames et des comédies, dont une : La joie fait peur, est restée au répertoire du Théâtre-Français. — Mme  de Girardin fut pour Victor Hugo une amie dévouée ; à partir de l’exil du poète, elle lui écrivit fréquemment et alla même le voir Jersey. Quand elle mourut, en 1855, il lui consacra deux poésies, une qui parut dans les Contemplations et une autre qui fut insérée dans Toute la Lyre en 1893.
  11. Louis Boulanger.
  12. Archives de la famille de Victor Hugo.
  13. Archives de la famille de Victor Hugo.
  14. Archives de la famille de Victor Hugo.
  15. Archives de la famille de Victor Hugo.
  16. Archives de la famille de Victor Hugo.
  17. Archives de la famille de Victor Hugo.
  18. Bibliothèque Nationale.
  19. Bibliothèque Nationale.
  20. Archives de la famille de Victor Hugo.
  21. Archives de la famille de Victor Hugo.
  22. Archives de la famille de Victor Hugo.
  23. Archives de la famille de Victor Hugo.
  24. Inédite.
  25. Le 15 décembre 1840, les restes de Napoléon, ramenés de Sainte-Hélène, étaient transportés aux Invalides ; Paris avait été décoré d’emblèmes et de drapeaux sur tout le trajet que devait parcourir le char funéraire.
  26. Le Retour de l’Empereur, publié en décembre 1840 et inséré en 1883 dans la dernière série de La Légende des Siècles.
  27. Correspondance de Thiers. Bibliothèque Nationale. Nouvelles acquisitions françaises. — Thiers répondit le 16 décembre :
    Mon cher Monsieur Hugo, je vous remercie de vos beaux vers. Ils m’ont fortement remué. Je garderai la lettre qui les accompagne, car les sympathies d’un homme tel que vous consolent de bien des traverses. J’espère que nous serons le mois prochain en majorité suffisante et que nous vous mettrons où vous devriez être depuis si longtemps (à l’Académie).
    Adieu, mille amitiés.
    A. Thiers.

    Venez me voir plus souvent.
  28. Le Retour de l’Empereur.
  29. Chateaubriand fit à Victor Hugo la réponse suivante :
    Ce soir, 18 Xbre 1840.
    Je ne crois point à moi, Monsieur, je ne crois qu’en Bonaparte ; c’est lui qui a fait et écrit la paix qu’il a bien voulu me donner à Sainte-Hélène. Votre dernier poëme est digne de votre talent ; je sens plus que personne l’immensité du génie de Napoléon, mais avec les réserves que vous avez faites vous-même, dans deux ou trois de vos plus belles odes ; quelle que soit la grandeur d’une renommée, je préférerai toujours la liberté à la gloire.
    Vous savez, Monsieur, que je vous attends à l’Académie.
    Dévouement et admiration.
    Châteaubriand.