Correspondance de Voltaire/1724/Lettre 126
Je loge enfin chez vous, dans mon petit appartement, et je voudrais bien le quitter au plus vite pour en aller occuper un à votre campagne ; mais je ne suis point encore en état de me transporter. Les eaux de Forges m’ont tué. Je passe chez vous une vie solitaire ; j’ai renoncé à toute la nature ; je regarde les maladies un peu longues comme une espèce de mort qui nous sépare et qui nous fait oublier de tout le monde, et je tâche de m’accoutumer à ce premier genre de mort, afin d’être un jour moins effrayé de l’autre.
Cependant, par saint Jean, je ne veux pas mourir.
Je me suis imposé un régime si exact qu’il faudra bien que j’aie de la santé pour cet hiver. Si je peux vous aller trouver à la Rivière, je vous avoue que je serai charmé que vous y restiez longtemps ; mais, si je suis obligé de demeurer à Paris, je voudrais de tout mon cœur vous faire haïr la Rivière et vos beaux jardins. Les nouvelles ne sont pas grandes dans ce pays-ci. La mort du roi d’Espagne ne changera rien que dans nos habillements. On dit que le deuil sera de trois mois. M. d’Autrei se meurt[1] ; Mme de Maillebois aussi ; je suis sûr que vous ne vous en souciez guère.
- ↑ Henri Fabry de Moncault, comte d’Autrei, mort encore jeune, en 1730 ; père de Henri Fabry, comte d’Autrei, auquel est adressée la lettre du 6 septembre 1765