Correspondance de Voltaire/1728/Lettre 181
Si vous vous souvenez encore, mon révérend père, d’un homme qui se souviendra de vous toute sa vie avec la plus tendre reconnaissance et la plus parfaite estime, recevez cet ouvrage avec quelque indulgence, et regardez-moi comme un fils qui vient, après plusieurs années, présenter à son père le fruit de ses travaux dans un art qu’il a appris autrefois de lui. Vous verrez par la préface quel a été le sort de cet ouvrage, et j’apprendrai, par votre décision, quel est celui qu’il mérite. Je n’ose encore me flatter d’avoir lavé le reproche que l’on fait à la France de n’avoir jamais pu produire un poëme épique ; mais si la Henriade vous plaît, si vous y trouvez que j’ai profité de vos leçons, alors sublimi feriam sidéra vertice[2]. Surtout, mon révérend père, je vous supplie instamment de vouloir m’instruire si j’ai parlé de la religion comme je le dois : car, s’il y a sur cet article quelques expressions qui vous déplaisent, ne doutez pas que je ne les corrige à la première édition que l’on pourra faire encore de mon poëme. J’ambitionne votre estime non-seulement comme auteur, mais comme chrétien.
Je suis, mon révérend père, et je ferai profession d’être toute ma vie, avec le zèle le plus vif, votre très-humble et très-obéissant serviteur,