Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 213

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Correspondance de Voltaire/1731
Correspondance : année 1731GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 212-213).
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213. — À M. DE FORMONT[1].

Ô qu’entre Cideville et vous
J’aurais voulu passer ma vie !
C’est dans un commerce si doux
Qu’est la bonne philosophie,
Que n’ont point ces mystiques fous,
Ni tous ces pieux loups-garous,
Gens députés de l’autre vie,
Nicole et Quesnel, enfin tous,
Tous ces conteurs de rapsodie
Dont le nom me met en courroux,
Autant que leur œuvre m’ennuie.

Revenez donc, aimables amis, philosopher avec moi, et ne vous avisez point de chercher les beaux jours à une lieue de Rouen. Vous n’avez point de mois de mai en Normandie :

Vos climats ont produit d’assez rares merveilles,

C’est le pays des grands talents,
Des Fontenelle, des Corneilles ;

Mais ce ne fut jamais l’asile du printemps.

Si Rouen avait d’aussi beaux jours que de bons esprits, je vous avoue que je voudrais m’y fixer pour le reste de ma vie. Je vous dirais, avec Virgile :

.... Soli cantare perili
Arcades. O mihi tum quam molliter ossa quiescant…
Atque utinam ex vobis unus, vestrique fuissem
Aut custos gregis, aut maturæ vinitor uvæ ! …
Serta mihi Phyllis logeret, cantaret Amyntas.

(Egl. x, 32.)

Mais votre climat n’a point maturam uvam. Ma malheureuse machine m’obligera de m’éloigner du pays où l’on pense pour aller chercher ceux où l’on transpire ; mais, dans quelque pays du monde que j’habite, vous aurez toujours en moi un homme plein de tendresse et d’estime pour vous. C’est avec ces sentiments, mes chers messieurs, que je serai toute ma vie votre, etc.

  1. Cette lettre, écrite de Rouen, dans les premiers jours de mai 173, est la réponse faite à une autre lettre, en prose et en vers, de M. de Formont, à qui Voltaire renvoyait, à Canteleu, sur la rive droite de la Seine, les œuvres de Descartes et de Malebranche. Le premier vers de la lettre de Voltaire, telle qu’on l’imprime ici, était précédé, dans l’original, des vingt-quatre premiers vers de l’Épitre à M. de Formont, laquelle commence ainsi :

    Rimeur charmant, plein de raison,
    Philosophe,.................... (Cl.)