Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 212

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Correspondance de Voltaire/1731
Correspondance : année 1731GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 211-212).
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212. — À M. THIERIOT.

Le 1er Mai

Je vous écris enfin, mon cher Thieriot, du fond de ma solitude, où je serais le plus heureux homme du monde si les circonstances de ma vie ne m’avaient rendu d’ailleurs le plus malheureux. Je compte quitter dans peu ma retraite pour venir vous retrouver à Paris. En attendant recevez mes compliments sur les succès flatteurs et solides de votre héroïne[1]. Je ne saurais plus résister à vous envoyer cette pièce[2] que vous m’avez si souvent demandée :

Et dût la troupe des dévots.
Que toujours un pur zèle enflamme,

Entourer mon corps de fagots,
Le tout pour le bien de mon àme,

je ne puis m’empêcher de laisser aller ces vers, qui m’ont été dictés par l’indignation, par la tendresse, et par la pitié, et dans lesquels, en pleurant Mlle  Lecouvreur, je rends au mérite de Mlle  Sallé la justice qui lui est due. Je joins ma faible voix à toutes les voix d’Angleterre pour faire un peu sentir la différence qu’il y a entre leur liberté et notre esclavage, entre leur sage hardiesse et notre folle superstition, entre l’encouragement que les arts reçoivent à Londres et l’oppression honteuse sous laquelle ils languissent à Paris.

  1. Mlle  Sallé, qui était alors à Londres.
  2. Voyez, tome IX, les vers sur la mort d’Adrienne Lecouvreur.