Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 235
Ériphyle et ma machine malade m’ont tellement occupé tous ces jours-ci, mon cher ami, que l’heure de la poste était toujours passée quand j’ai voulu vous écrire. Je suis venu à bout des tracasseries qu’on m’a faites ; mais une tragédie et une mauvaise santé sont des choses bien plus difficiles à raccommoder. Je souffre et je rime ; quelle vie ! Encore si je rimais bien ; mais si vous saviez combien il m’en coûte actuellement pour polir ma p… d’Argos, pour mettre chaque mot à sa place,
Et male tornatos incudi reddere versus ;
vous plaindriez votre pauvre ami.
Mon Dieu ! pourquoi faire des vers, et les faire mal ? Voilà ce La Grange qui vient de donner Érigone. Il n’y a pas un vers passable dans tout l’ouvrage ; il y en a cinq cents de ridicules. La pièce est le comble de l’extravagance, de l’absurdité, et de la platitude ; mais j’ai peur que le siècle n’en soit digne. Cependant ce n’est pas trop à moi à dire du mal du siècle, qui traite assez favorablement Charles XII. Un auteur qui fait des vers comme La Grange, mais qui vaut assurément bien mieux, est actuellement fort malade : c’est ce pauvre Lamotte[2]. Je suis à peu près dans le même cas ; j’ai un reste de fièvre. Adieu : quand on est malade, il faut s’en tenir au proverbe : Des lettres courtes et de longues amitiés.
Je vous aime tendrement pour toute ma vie. Mille amitiés à Formont.