Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 321
Du dieu du Goût j’ai le temple pollu ;
Du dieu d’amour vous ornerez l’Empire,
Car vous avez mentule, plume et lyre ;
Vous savez f…, aimer, chanter, écrire ;
Moi, je n’ai rien qu’un talent mal voulu,
Honni des sots, et qu’on prend pour satire.
Donc je verrai mon Temple vermoulu.
Vous, vous serez baisé, fredonné, lu,
Claqué surtout, heureux comme un élu ;
Et moi sifflé ; mais je ne fais qu’en rire.
Du milieu de votre Empire rendez-moi un bon office, s’il vous plaît. Ce grand lévrier de Crébillon fils a envoyé à son singulier père ce misérable Temple pour être lu et approuvé. On prétend qu’on l’a remis ès mains d’une vieille muse, qui est la gouvernante de M. de Crébillon ; et cette vieille a dit qu’elle ferait tenir le paquet à Bercy. Mais, si vous ne daignez vous en faire informer par vos gens, le Temple du Goût ira à tous les diables. Ce n’est pas encore tout, car ils disent que M. de Crébillon laissera manger mon Temple par ses chats[1], et qu’il sera longtemps sans le lire : et il fera bien, car il vaut mieux qu’il achève Catilina que de perdre son temps à lire mes guenilles. Cependant, si vous vouliez un peu le presser, il aurait du temps pour lire mon Temple et pour achever son divin Catilina. Écrivez-lui donc un petit mot, mon aimable Quin-Monc[2]. Je vous souhaite, et à Lull-Brass, tout le plaisir que nous aurons mardi. Je ne sortirai que ce jour-là, et je serai à midi au parterre. I love you with all my heart[3].
- ↑ L’auteur de Rhadamiste avait pour les chats un goût poussé jusqu’à la manie ; et Moncrif, dès 1727, avait donné les Chats, ou l’Histoire des Chats. (Cl.)
- ↑ En supprimant ici la dernière syllabe des noms de Moncrif et de Brassac, Voltaire les fait précéder de la première syllabe de ceux de Quinault et de Lulli. Voltaire parle de Brassac dans le Temple du Goût.
- ↑ « Je vous aime de tout mon cœur. »