Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 327

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Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 335-336).
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327. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce mardi, 21 avril.

Voici, au net et en bref, ma situation, mon très-cher ami. On a tant clabaudé contre le Temple du Goût que ceux qui s’y intéressent ont pris le parti de le faire imprimer, avec approbation et privilège, sous les yeux de M. Rouillé, qui verra les feuilles ; ainsi, Jore ne peut être chargé de cette impression.

Mais voici de quoi il peut se charger :

1° Des Lettres anglaises, qu’on a commencé à imprimer à Londres, à 3,000 exemplaires, et dont il faut qu’il tire ici 2,500, car nous ne pouvons aller en rien aussi loin que les Anglais ;

2° D’Èriphyle, que j’ai retravaillée, et dont on demande à force une édition ;

3° Du Roi de Suède, revu, corrigé, et augmenté, avec la réponse au sieur de La Motraye.

Il faudrait aussi qu’il me donnât une réponse positive au sujet de la Henriade : car il n’y en a plus du tout à Paris, M. Rouillé ferme les yeux sur l’entrée et le débit de la Henriade, mais il ne peut, à ce qu’il dit, en permettre juridiquement l’entrée : c’est donc à Jore à voir s’il veut s’en charger pour son compte, ou me la faire tenir incessamment chez moi, comme il me l’avait promis. Je vous prie de lui lire tous ces articles, et de vouloir bien me mander sa réponse positive sur tout cela. Voilà pour tout ce qui regarde notre féal ami Jore.

Vous avez perdu votre archevêque[1], mon cher ami ; vous en êtes sans doute bien fâché pour son neveu, qui va être réduit à faire sa fortune tout seul. Vous n’aurez un archevêque de plus de dix mois ; le très-sage cardinal de Fleury voudra que le roi jouisse de l’annate aussi longtemps que faire se pourra. Mais, quoique votre ville soit privée si longtemps d’un pasteur, cela ne m’empêcherait point du tout de venir y philosopher et poétiser avec vous une partie de l’été ; je vais m’arranger pour cela. Ma santé est affreuse ; mais un petit voyage ne l’altèrera pas davantage, et je souffrirai moins auprès de vous. Je vous jure, mon cher ami, que, si je ne peux exécuter cette charmante idée, c’est que la chose sera impossible. Savez-vous bien que j’ai en tête un opéra[2], et que nous nous y amuserions ensemble, pendant qu’on imprimerait Charles XII et Ériphyle ? Notre ami Formont ne serait peut-être pas des nôtres ; il a bien l’air de rester longtemps à Paris, car il y est reçu et fêté à peu près comme vous le serez quand vous y viendrez. J’ai peur qu’il ne vous ait mandé bien du mal de l’opéra du chevalier de Brassac ; nous le raccommodons à force, et j’espère vous en dire beaucoup de bien au premier jour. J’ai toujours grande opinion du vôtre, et je compte que vous l’achèverez, quand nous nous verrons à Rouen. Vale.

  1. Louis de La Vergne de Tressan, oncle du comte du même nom. Voyez, plus haut, la note de la lettre 274.
  2. Tanis et Zélide ; voyez tome III, page 43.