Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 332
Mon cher ami, je suis enfin vis-à-vis ce beau portail, dans le plus vilain quartier de Paris, dans la plus vilaine maison, plus étourdi du bruit des cloches qu’un sacristain ; mais je ferai tant de bruit avec ma lyre que le bruit des cloches ne sera plus rien pour moi. Je suis malade ; je me mets en ménage ; je souffre comme un damné. Je brocante, j’achète des magots[1] et des Titien, je fais mon opéra, je fais transcrire Èriphyle et Adélaïde ; je les corrige, j’efface, j’ajoute, je barbouille, la tête me tourne. Il faut que je vienne goûter avec vous les plaisirs que donnent les belles-lettres, la tranquillité, et l’amitié. Formont est allé porter sa philosophique paresse chez Mme Moras. Il y a mille ans que je ne l’ai vu ; il me consolait, car il me parlait de vous. Adieu ; je souffre trop pour écrire.
- ↑ C’est-à-dire des tableaux de l’école flamande. On connaît ce mot de Louis XIV, au sujet des tableaux de Téniers : « Otez-moi ces magots. » (Cl.)