Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 335
Trio charmant, que je remarque
Parmi ceux qui sont mon appui,
Trio par qui Laure, aujourd’hui,
Revient de la fatale barque,
Vous qui b…… mieux que Pétrarque,
Et rimez aussi bien que lui,
Je ne peux quitter mon étui
Pour le souper où l’on m’embarque ;
Car la cousine de la Parque,
La fièvre au minois catarrheux,
À la marche vive, inégale,
À l’œil hagard, au cerveau creux,
De mes jours compagne infernale,
Me réduit, pauvre vaporeux,
À la nécessité fatale
D’avaler les juleps affreux
Dont monsieur Geoffroi[1] me régale,
Tandis que, d’un gosier heureux,
Vous humez la liqueur vitale
D’un vin brillant et savoureux.
Pardonnez-moi, messieurs de la trinité ; pardonnez-moi, et plaignez-moi. Vous voulez bien aussi que je vous confie combien je suis fâché de manquer une partie avec M. de Surgères[2], que j’ai chanté fort mal, mais à qui je suis attaché comme si j’avais fait pour lui les plus beaux vers du monde.
Si M. de Formont, avant de partir, ne vient point me parler un peu de sa douce et charmante philosophie, je vise au transport, et je suis un homme perdu. Buvez, messieurs, soyez gais et bien aimables, car il faut que chacun fasse son métier. Le mien est de vous regretter, de vous être tendrement dévoué, et d’enrager.