Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 334

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 342-343).
◄  Lettre 333
Lettre 335  ►

334. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce jeudi au soir, 21 mai.

Vous avez vu sans doute, mon cher Cideville, l’honnête et naïf Hambourgeois que je vous ai adressé. Le philosophe Formont part demain : mon Dieu, pourquoi ne m’est-il pas permis de le suivre ! Calla[1], calla, señor Cideville ; j’aurai peut-être huit ou dix jours de santé, et Dieu sait si alors Rouen me verra, et si je viendrai philosopher avec vous. Je ne vous mande aucune nouvelle ; l’aimable Formont vous les dira toutes ; il vous parlera des spectacles qu’il a vus, et des plaisirs qu’il a goûtés. Je voulais le voir aujourd’hui ; je ne suis sorti qu’un quart d’heure, et c’est précisément dans ce quart d’heure qu’il est venu ; il partira sans que je l’aie embrassé. Croiriez-vous bien que je ne l’ai pas vu à mon aise, pendant tout son séjour ? Je ne crois pas avoir eu le temps de lui montrer plus d’un acte d′Adélaïle. Ah ! quelle ville que Paris, pour ne point voir les gens que l’on aime ! Quand je serai à Rouen, je jouirai de vous tous les jours ; mais si vous étiez à Paris, nous nous rencontrerions peut-être une fois toutes les semaines, tout au plus. Il ne faut pas que nos amis viennent ici ; il faut que nous allions les chercher. Jore est (aujourd’hui jeudi) à présent auprès de vous ; je vous prie de lui recommander secret, diligence, et exactitude ; et, surtout, de ne laisser entre les mains d’une famille si exposée aux lettres de cachet aucun vestige, aucun mot d’écriture ni de vous ni de moi ; qu’il vous rende exactement tous les manuscrits. Je vais lui envoyer dans peu une édition de Charles XII, corrigée et augmentée, avec les Réponses au sieur de La Motraye[2].

Il aura aussi Ériphyle ; mais pour celle-là, j’espère la porter moi-même ; je passe ma vie à espérer, comme vous voyez. L’abbé Linant me mande qu’il reviendra bientôt à Paris. Il m’a envoyé de beaux vers alexandrins ; il a

Ingenium · · · · · · · · · · · · · · · atque os
Magna sonaturam · · · · · · · · · · · · · · ·

(Hor, liv. I, sat. iv, v. 43.)
mais, avec ses talents, je le crois paresseux ; je le lui ai dit, je le lui écris ; mais il faudra que je l’aime de tout mon cœur comme il est.

Si vous voyez Jore, ayez la bonté, je vous prie, de lui dire de m’envoyer les épreuves[3] par la poste, surtout celles où il est question de philosophie et de calcul : il n’a qu’à les adresser à M. Dubreuil[4], cloître Saint-Merry, sans mettre mon nom et sans écrire. Adieu ; je vous suis attaché hasta la muerte.

  1. Ces trois mots espagnols, qui signifient : taisez-vous, taisez-vous, monsieur de Cideville, ont été rétablis par M. Clogenson.
  2. Voyez tome XVI, page 355.
  3. Celles des Lettres sur les Anglais.
  4. Germain Dubreuil, beau-frère de Demoulin. C’était chez lui que demeurait l’abbé Moussinot.