Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 357

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Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 370-371).
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357. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce dimanche, 2 août.

Vous m’avez cru peut-être embastillé, mon cher ami. J’étais bien pis ; j’étais malade, et je le suis encore. Il n’y a que vous dans le monde à qui je puisse écrire dans l’état où je suis.

Je vais me rendre tout entier à Adélaïde, dès que j’aurai un rayon de santé. Je n’ose vous envoyer mon Épître à Emilie sur la Calomnie, parce qu’Emilie me l’a défendu ; et que, si vous m’aviez défendu quelque chose, je vous obéirais assurément. Je lui demanderai la permission de faire une exception pour vous. Si elle vous connaissait, elle vous enverrait l’épître écrite de sa main ; elle verrait bien que vous n’êtes pas fait pour être compris dans les règles générales ; elle penserait sur vous comme moi.

Vous savez qu’on a imprimé le Temple du Goût en Hollande, de la nouvelle fabrique. Il y a quelques pierres du premier édifice que je regrette beaucoup, et, un jour, je compte bien faire de ces deux bâtiments un Temple régulier, qu’on imprimera à la tête de mes petites pièces fugitives, lesquelles, par parenthèse, je fais actuellement transcrire pour vous et pour Formont. Je les corrige à mesure ; mais je regrette de mettre moins de temps à les corriger que mon copiste à les écrire.

Paris est inondé d’ouvrages pour et contre le Temple[1] ; mais il n’y a eu rien de passable. Notre abbé fait sur cela un petit ouvrage qui vaudra mieux que tout le reste, et qui, je crois, fera beaucoup d’honneur à son cœur et à son esprit. Nous allons le faire copier pour vous l’envoyer, car l’abbé et moi nous vous devons, mon cher Cideville, les prémices de tout ce que nous faisons. Il est bien mal logé chez moi ; mais d’ailleurs je me flatte qu’il ne se repentira pas de m’avoir préféré au collège. Il va incessamment vous faire une tragédie ; il bégaye comme l’abbé Pellegrin ; il n’a guère plus de culottes, et il est abbé comme lui ; mais il faut croire qu’il sera meilleur poëte.

Dites donc à notre philosophe Formont qu’il m’envoie quelque leçon de philosophie de sa main. Et votre Allégorie ? Adieu ; je vous embrasse.

  1. Voyez, tome VIII, page 549, une note ajoutée à l’Avertissement en tête du Temple du Goût.