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Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 381

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381. — Á M. L’ABBÉ DE SADE.
À Paris, le 25 novembre.

J’interromps mon agonie pour vous dire que vous êtes une créature charmante. Vous m’avez écrit une lettre qui me rendrait la santé, si quelque chose pouvait me guérir.

On dit que vous allez être prêtre et grand-vicaire ; voilà bien des sacrements à la fois dans une famille. C’est donc pour cela que vous me dites que vous allez renoncer à l’amour.

Ainsi donc vous vous figurez,
Alors que vous posséderez
Le juste nom de grand-vicaire,
Qu’aussitôt vous renoncerez
À l’amour, au talent de plaire.
Ah ! tout prêtre que vous serez,
Mon cher ami, vous aimerez ;
Fussiez-vous évêque ou saint-père,
Vous aimerez, et vous plairez ;
Voilà votre vrai ministère ;
Et toujours vous réussirez
Et dans l’Église et dans Cythère.

Vos vers et votre prose sont bien assurément d’un homme qui sait plaire. Je suis si malade que je ne vous en dirai pas davantage ; et d’ailleurs, que pourrais-je vous dire de mieux, sinon que je vous aime de tout mon cœur ?

J’ai envoyé trois Henriade, de la nouvelle édition, à M. de Caumont par M. de Malijac, une par M. de Sozzi, qui demeure à Lyon, vis-à-vis Bellecour. Je ne lui écris point, et à vous je ne vous écris guère, car je n’en peux plus.

Adieu ; conservez bien votre santé : il est affreux de l’avoir perdue et d’aimer le plaisir. Vale, vale. Ne parlez pas à Mme du Chàtelet de son anglais ; c’est un secret qu’il faut qu’elle vous apprenne. Adieu ; je vous serai attaché tout le temps de ma courte et chienne de vie.