Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 382
Il y a cinq jours, mon cher ami, que je suis dangereusement malade, d’une espèce d’inflammation d’entrailles ; je n’ai la force ni de penser ni d’écrire. Je viens de recevoir votre lettre et le commencement de votre nouvelle Allégorie. Au nom d’Apollon, tenez-vous-en à votre premier sujet ; ne l’étouffez point sous un amas de fleurs étrangères ; qu’on voie bien nettement ce que vous voulez dire : trop d’esprit nuit quelquefois à la clarté. Si j’osais vous donner un conseil, ce serait de songer à être simple, à ourdir votre ouvrage d’une manière bien naturelle, bien claire, ’ qui ne coûte aucune attention à l’esprit du lecteur. N’ayez point d’esprit, peignez avec vérité, et votre ouvrage sera charmant. Il me semble le que vous avez peine à écarter la foule d’idées ingénieuses qui se présente toujours à vous : c’est le défaut d’un homme supérieur, vous ne pouvez pas en avoir d’autre ; mais c’est un défaut très-dangereux. Que m’importe si l’enfant est étouffé à force de caresses, ou à force d’être battu ? Comptez que vous tuez votre enfant en le caressant trop. Encore une fois, plus de simplicité, moins de démangeaison de briller ; allez vite au but, ne dites que le nécessaire. Vous aurez encore plus d’esprit que les autres quand vous aurez retranché votre superflu.
Voilà bien des conseils que j’ai la hardiesse de vous donner ; mais…
Petimusque, damusque vicissim.
Adieu ; dites à M. de Formont combien je l’aime. Je suis trop malade pour en écrire davantage.
- ↑ C’est le mot de César : voyez Suétone, Jules César, chap. xxxii.