Correspondance de Voltaire/1734/Lettre 410

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Correspondance de Voltaire/1734
Correspondance : année 1734GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 426-427).
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410. — Á MADAME LA DUCHESSE D’AIGUILLON[1].
Mai.

Si vous êtes encore à Paris, madame, permettez-moi d’avoir recours à la langue française dont vous vous servez si bien, plutôt qu’au vieux gascon, qui me serait à présent peu utile, je crois, auprès de monsieur le garde des sceaux. Je suis pénétré de reconnaissance, et je vous remercie, au nom de tous les partisans de Locke et de Newton, de la bonté que vous avez eue de mettre Mme  la princesse de Conti dans les intérêts des philosophes, malgré les criailleries des dévots. On me mande, dans ma retraite, que le parlement veut me faire condamner, et me traiter comme un mandement d’évêque. Pourquoi non ? Il y a bien eu des arrêts contre l’antimoine, et en faveur des formes substantielles d’Aristote.

On dit qu’il faut que je me rétracte ; très-volontiers : je déclarerai que Pascal a toujours raison ; que fatal laurier, bel astre, sont de la belle poésie ; que si saint Luc et saint Marc se contredisent, c’est une preuve de la vérité de la religion à ceux qui savent bien prendre les choses ; qu’une des belles preuves encore de la religion, c’est qu’elle est inintelligible. J’avouerai que tous les prêtres sont doux et désintéressés ; que les jésuites sont d’honnêtes gens ; que les moines ne sont ni orgueilleux, ni intrigants, ni puants ; que la sainte Inquisition est le triomphe de l’humanité et de la tolérance ; enfin, je dirai tout ce qu’on voudra, pourvu qu’on me laisse en repos, et qu’on ne s’acharne point à persécuter un homme qui n’a jamais fait de mal à personne, qui vit dans la retraite, et qui ne connaissait d’autre ambition que celle de vous faire sa cour.

Il est très-certain, de plus, que l’édition est faite malgré moi, qu’on y a ajouté beaucoup de choses, et que j’ai fait humainement ce que j’ai pu pour en découvrir l’auteur.

Permettez-moi, madame, de vous renouveler ma reconnaissance et mes prières. La grâce que je demande au ministre, c’est qu’il ne me prive pas de l’honneur de vous voir ; c’est une grâce pour laquelle on ne saurait trop importuner.

J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect.

Voltaire.

M’est-il permis de saluer M. le duc d’Aiguillon, de lui présenter mon respect, de le remercier, et de l’exhorter à lire les Lettres philosophiques sans scandale ? Elles sont imprimées à faire peur, et remplies de fautes absurdes : c’est là ce qui me désespère.

  1. Voyez la note sur la lettre 388.