Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 548

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Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 14-15).
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548. — Á M. LE COMTE D’ARGENTAL[1],
conseiller d’honneur au perlement.
Ce … 1736.

Vous protégez une cause et vous rapportez un procès[2] dont l’issue me fait trembler. Que ne puis-je mériter tout ce que vous daignez faire pour moi ! Mais il ne m’est pas si aisé de faire de bons vers qu’à vous de rendre de bons offices. Je ne vois plus qu’un Ahan ! Je tâche au hasard de vous satisfaire ; jugez de tout ce que je vous envoie.

Je pencherais pour remettre le troisième acte suivant les scènes ci-jointes ; il me semble que la scène du père ne fait pas un mauvais effet. Ce n’est point un bas et lâche politique ; c’est un homme devenu européan et chrétien, qui fait tout pour sa fille. qui ne veut que son bonheur. L’amour paternel intéresse toujours. Cette nouvelle leçon que reçoit Alzire de son père sur ses nouveaux devoirs produit encore dans son cœur un combat qui rend son entrevue avec son amant plus intéressante. L’absence du père, qui est au conseil, rend cette entrevue vraisemblable. Tout ce qui me fâche, c’est que Montèze, qui doit garder sa fille à vue, ne paraît point à la fin de l’acte avec Gusman et Alvarez ; mais c’est précisément parce qu’Alvarez et Gusman sont là que le père y est inutile. D’ailleurs, si c’est un défaut, ce défaut subsistait de même dans la première manière.

Mme  du Ghâtelet approuve que ce troisième acte commence de la façon dont je vous l’envoie : c’est un peu de peine de plus pour le seul Le Grand ; mais il la prendra volontiers, s’il croit que cette augmentation embellira son rôle. Il y a même dans ce morceau des choses qu’il peut rendre pathétiques ; enfin ce biais nous sauve de la triste et inutile Céphane.

Si j’étais auprès de vous, mon cher et respectable bienfaiteur, que j’aimerai toute ma vie, j’exécuterais vos ordres plus promptement, et vos lumières m’éclaireraient de plus près ; mais il n’y a que la persécution qui puisse jamais me tirer de Cirey.

Mille tendres respects à Mme  de Ferriol et à M. de Pont-de-Veyle. MM. de Richelieu et Hénault ont-ils lu cette pièce ?

  1. Cette lettre, éditée par MM. de Cayrol et A. François sous la date de 1733 nous semble être du commencement de 1736. (G. A.)
  2. D’Argental suivait les répétitions d’Alzire à la Comédie.