Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 573

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Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 46-47).
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573. — Á M. THIERIOT.
À Cirey, ce 10 mars.

La galanterie de Mlle Quoniam[1] est plus flatteuse que les battements de mains du parterre. Je ne sais plus quelle fille de l’antiquité voulut coucher avec un philosophe pour le récompenser de ses ouvrages. Mlle Quoniam ne pousserait pas si loin la générosité antique, mais aussi je ne suis pas si philosophe. Pour Mlle Gaussin, elle me devrait au moins quelques baisers. Je m’imagine que vous les recevez pour moi, et que ce n’est pas au théâtre que sa bouche vous fait le plus de plaisir.

Il est vrai que dans la petite comédie[2] que nous avons jouée à Cirey il y aurait un rôle assez plaisant et assez neuf pour Mlle Dangeville. Mme du Châtelet la joué à étonner, si quelque chose pouvait étonner d’elle ; mais la pièce n’est qu’une farce qui n’est pas digne du public. Thélis et Pélèe[3] me font trembler pour ma vieillesse. Il est triste que ce qui a été beau ne le soit plus ; mais ce n’est point M. de Fontenelle qui est tombé, ce sont les acteurs de l’Opéra. Ne pourrai-je point avoir l’Épître à Clio[4], de M. de La Chaussée ? C’est celui-là qui fait bien des vers, et qui, par conséquent, ne sera pas loué par quelqu’un[5] que vous connaissez, auquel il ne reste plus ni goût ni talent, mais seulement de l’envie.

Je viens de voir une épigramme parfaite : c’est celle de notre petit Bernard sur la Sallé. Il a troqué son encensoir contre des verges ; il fouette sa coquine après avoir adoré sa déesse[6]. On ne peut pas mieux punir ce faste de vertu ridicule, qu’elle étalait si mal à propos.

Pitteri, libraire à Venise, qui débite la traduction de Charles XII, n’a pu obtenir la permission pour la Henriade, parce que j’ai l’honneur d’être à l’index.

Formont vient de m’envoyer de jolis vers sur Alzire. Vous les aurez bientôt, car tout ce qu’on fait pour moi vous appartient. Pour ma Métaphysique[7], il n’y a pas moyen de la faire voyager ; j’y ai trop cherché la vérité. Adieu, héros de l’amitié ; adieu, ami de tous les arts ; vos lettres sont le second plaisir de ma vie.

de madame du châtelet.
Voltaire veut que je signe sa lettre ; j’y mettrai avec grand plaisir le sceau de l’amitié ; je sens celle que vous avez marquée à votre ami, et je désire que vous en ayez pour Émilie.

  1. Mlle Quinault.
  2. L’Enfant prodigue.
  3. Opéra, paroles de Fontenelle, musique de Celasse ; représenté, pour la première fois, en 1689, et repris sept fois.
  4. C’est-à-dire l’Épître de Clio à M. de B… (Bercy), dont la première édition, in-12 de trente-trois pages, parut en 1734.
  5. J.-B. Rousseau, dont l’éloge, dans l´Épître de Clio, précède immédiatement celui de Voltaire. (Cl.)
  6. Ces mots, en lettres italiques, sont l’extrait du titre de l’épigramme en huit vers, dont voici les premiers :
    Sur la Sallé la critique est perplexe :
    L’un va disant qu’elle a fait maints heureux…
  7. Le Traité de Métaphysique cité plus haut, dans la lettre 527.