Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 656
À l’égard de l’Enfant prodigue, il faut, mon cher ami, soutenir à tout le monde que je n’en suis point l’auteur. C’est un secret uniquement entre M. d’Argental, Mlle Quinault, et moi. M. Thieriot ne l´a su que par hasard ; en un mot, j’ai été fidèle à M. d’Argental, et il faut que vous me le soyez. Mandez-moi ce que vous en pensez, et recueillez les jugements des connaisseurs, c’est-à-dire des gens d’esprit, qui ne viennent à la comédie que pour avoir du plaisir : hoc est enim omnis homo[1], et le plaisir est le but universel ; qui l’attrape a fait son salut.
Trop ami des plaisirs et trop des nouveautés
restera jusqu’à ce qu’on ait trouvé mieux.
Je t’aimais inconstant ; qu’aurais-je fait fidèle ?
n’est pas plus grammatical, et c’est en cela qu’est le mérite.
Et de l’art même apprend ii franchir les limites.
Linant n’est point ici ; il est à six lieues, avec son pupille. Quand il sera revenu, il changera, s’il veut, la préface[2]. Il est honteux qu’il faille la changer. M. Algarotti est allé on Italie. Nous l’avons possédé à Cirey : c’est un jeune homme en tout au-dessus de son âge, et qui sera tout ce qu’il voudra être.
Ma santé s’en va au diable : sans cela je vous écrirais des volumes ; mais il faut bien se porter pour être bavard. Vous, qui vous portez à merveille, songez que vous ne pouvez m’écrire ni de trop longues ni de trop fréquentes lettres, et que votre commerce peut rendre heureux votre ami,