Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 725

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Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 223-224).
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725. — À MADAME DE CHAMPBONIN.
D’Amsterdam, février.

Rien ne peut me surprendre d’un cœur tel que le vôtre. Ce procédé-ci m’étonnerait de tout autre. Il n’y a plus de malheur pour moi que celui de n’avoir point d’ailes ; j’arrange tout ; je mets ordre à tout, pour partir.

Je fais en un jour ce que j’aurais fait en quinze. Je me tue pour aller vivre dans le sein de l’amitié ; mais, malgré toutes mes diligences, je ne pourrai partir que vers le 16 ou le 17. J’en suis au désespoir ; mais figurez-vous que j’avais commencé une besogne[1] où j’employais sept ou huit personnes par jour ; que j’étais seul à les conduire ; qu’il faut leur laisser des instructions aisées, et apaiser une famille qui s’imagine perdre sa fortune par mon absence. Enfin je suis assez malheureux pour ne partir que le 16. Soyez bien sûre, tendre et charmante amie, que je ne reviendrais pas si des rois[2] me demandaient ; mais l’amitié me rappelle, je pars. Mandez donc bien vite à la plus respectable, à la plus belle âme qu’il y ait au monde, que je ne peux partir que le 16 ; quelle compte surtout que nous sommes en février, et qu’on fait par jour tout au plus douze lieues ; qu’elle ne compte point mes journées par mes désirs : en ce cas je serais le 16 à Cirey[3]. Je finis de vous écrire pour hâter le moment de vous embrasser. Surtout ne dites à qui que ce soit que je viens en France. Je veux qu’on ignore, du moins autant qu’il sera possible, ma retraite et mon bonbeur.

  1. L’impression des Éléments de la Philosophie de Newton : voyez l’avertissement de Beuchot, tome XXII, page 397.
  2. Frédéric, alors prince royal, engageait Voltaire à se rendre à Remusberg.
  3. Peut-être y a-t-il ici une faute d’impression. Voltaire, quittant Amsterdam le 16 mars, ne pouvait arriver le même jour à Cirey. S’il fût parti dés le 16 février, il n’eût pas mis un mois en route. Il arriva à Cirey, en 1737, dans la seconde quinzaine de mars. (Cl.)